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chambres, même lambrissées de marbre et plafonnées de peintures, dont se compose le logis intérieur.

Comme celui-ci les logis-jardins ont des jours ouverts sur le dehors, soit par de petites fenêtres, les « Ah ! ah ! » coupures de murailles avec sauts-de-loup qui surprennent la vue, soit par de larges baies panoramiques où l’œil s’accroche sur des lointains de montagnes, de lacs ou de mer, qui constituent l’ambiance nécessaire du genre. C’est même dans le choix d’un milieu approprié que gît l’écueil, pour le jardin comme pour la maison, parce qu’il se trouve sur la terre moins de sites grandioses que de plaines insignifiantes et que la « nature » offre beaucoup de paysages manques.

J’allais oublier la caractéristique du jardin de Le Nôtre : c’était d’être animé par les eaux. Cette partie fut son triomphe, nous ne l’y avons pas égalé, et ce que notre temps a produit de plus parfait en ce genre est la restitution, minutieusement poursuivie par un millionnaire d’un goût très sûr, des cascades, fontaines, miroirs et vasques du château de Vaux. Pour remplir, le réservoir gigantesque qui devait les alimenter, Fouquet avait détourné une rivière. Ces « effets d’eau » vive, tombante ou jaillissante, ces nappes, ces urnes, ces « buffets, » de cristal fluide, ces jets et panaches mesurés qui motivaient la présence et réglaient le maintien d’une multitude de sylvains, de tritons, de dryades, d’animaux réels ou fabuleux, debout, couchés ou accroupis, en marbre, en bronze, en plomb doré, exigeaient un volume considérable de liquide.

A Tanlay, chez le surintendant d’Emery, le canal avait 28 mètres de large sur une longueur de 650 mètres. Amener l’eau, de très loin souvent, et la faire monter à hauteur suffisante exigea un déploiement d’ingéniosité vraiment remarquable, avec les mécaniques rudimentaires dont on disposait. La dépense fut à proportion ; mais il fallait de l’eau à tout prix : ce fut une angoisse extrême à Versailles lorsqu’on craignit l’échec de la machine de Marly qui avait coûté quatorze millions ; sans plus attendre on se retourna d’un autre côté ; l’adduction de l’Eure fut décidée et les travaux, parmi lesquels la construction d’un aqueduc que l’on voit encore, inachevé, au milieu du parc de Maintenon, s’élevèrent à trente et un millions de francs.

Ces deux sommes réunies, — 45 millions, — équivalaient aux trois quarts des soixante millions auxquels était évalué le canal