Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/544

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appelait le « grand architecte des jardins » et celle de ses émules où disciples, que tant d’auteurs modernes et non des moindres, à commencer par Alfred de Musset, se sont plu à railler ces édifices de verdure dont Versailles offre le modèle. Leur reprocher de violenter la nature, de l’assujettir à l’obéissance dans les lignes rigides et la forme tyrannique des bosquets, c’est comme si l’on reprochait au créateur d’une habitation de pierre de contraindre les matières brutes à se façonner suivant ses plans.

Qu’est-ce, en effet, que cette architecture immense où tout est vivant, les murs, le sol et les toits ? Une construction végétante, non bâtie, mais plantée, non maçonnée, mais taillée, cent fois plus vaste que le château fermé qu’elle enchâsse et prolonge de toutes parts. Les salons, galeries et cabinets de charmilles, tantôt voûtés de feuillages en ogive, tantôt entresolés en berceaux, les tapis alternés de fleurs et de gazon, le mobilier surtout : les statues, les groupes, les vases de marbre et de bronze, tout cela constitue de merveilleux appartemens de parade ou d’intimité, dont les hôtes trouvent réunis, à quelques mètres de distance, les charmes de l’ombre et du soleil.

Ces « jardins » sociables, qui ne prétendaient pas plus être des forêts vierges que nos maisons à cinq étages ne sont des grottes naturelles, visaient dans leurs moindres détails à plaire avant tout aux yeux. « Vous avez entendu dire, écrivait un Anglais, que Louis XIV regrettait de n’avoir pas de gravier propre aux allées, couvertes d’un sable mou et blanc. C’est une erreur, il y a beaucoup de gravier entre Paris et Versailles ; mais les Français, qui aiment la clarté et l’éclat, préfèrent ce sable comme plus gai et plus agréable et ne s’aperçoivent pas que sa réflexion est très pénible. » Sans doute le caillou eût été dur au marcher et inutile, dans ces allées où l’on ne voyait personne les jours de pluie ; la blancheur du parquet de sable était plus « habillée, » plus en harmonie avec le décor de ces salons de plein vent.

Ne donnez point à ces « jardins » superbes un nom générique qu’ils partagent avec les « courtils » villageois, appelez-les des logis extérieurs, et vous reconnaîtrez que leurs alignemens géométriques masqués par la perspective, leurs étoiles, leurs demi-lunes, leurs quinconces et leurs boulingrins sont beaucoup moins froids et moins monotones que l’enfilade des