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à la mort de son père, réédifié sur nouveaux plans durant vingt-trois années, en y dépensant un million de francs, et que son fils à son tour rasa en 1785 pour élever une demeure plus importante, à peine terminée en 1789.

Il est vrai que les propriétés créées à cette époque étaient situées le plus souvent dans un rayon voisin de Paris ; l’éloignement de la Cour, sous les Valois, c’était la révolte ; sous les Bourbons, cela sent l’exil. A l’exemple de Louis XV, qui se déplace moins loin qu’un roi mérovingien à travers la France, mais tourne toujours dans le même cercle, de Versailles à Marly, Fontainebleau ou Compiègne, avec, pour remplir l’intervalle de ces « grands voyages, » de petits séjours à Choisy, La Muette, Bellevue, Crécy ou Trianon, les princes du sang, les grands seigneurs se groupent dans les départemens contigus à la capitale. Si La Rochefoucauld, avec ses trois étages de galeries ajourées et les sculptures féeriques de ses voûtes, est abandonné par ses maîtres pour Liancourt ou La Roche-Guyon, c’est que la notion du confort avait varié depuis le XVIe siècle.

On ne jugeait plus, comme les contemporains de Charles IX, que ce fût « une chose digne d’admiration et la principale singularité parmi les plus exquis bâtimens de France, de voir les offices de Madrid, — au bois de Boulogne, — « pratiquées dessous en même sorte que le dessus, ayant leur jour descendant du haut par quelques cadres ouverts au ras de terre, » et quoiqu’un écrivain du même temps eût estimé les quatre grosses tours de Chambord « garnies de toutes commodités, comme chambre, garde-robe, privés et cabinets, » il fallait, pour s’y plaire au siècle des boudoirs, y vivre en maréchal de Saxe avec un traitement princier et loger dans ses communs un régiment de mille cavaliers à ses couleurs. « C’est ici la fin d’un beau songe, » disait en mourant le vainqueur de Fontenoy. Mais on s’explique aussi comment la gêne des propriétaires pouvait entraîner la ruine des demeures historiques, en voyant, sous le premier Empire, le « sénateur comte de Cossé, » fils du Brissac massacré en 1792, se bâtir modestement un logis dans la cour du château ducal inhabitable, qu’il renonçait à restaurer faute de ressources ; travail énorme qu’un retour de fortune permit à la génération suivante d’entreprendre en 1844.