Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/526

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Des murailles de 7 mètres de large n’étaient pas communes ; je n’en ai, pour ma part, rencontré nul autre échantillon. Pour 24 000 francs seulement, la comtesse d’Artois, en 1310, édifiait à son château de Bapaume la grande salle qui avait 27 mètres de long, 23 de large et 13m, 33 de haut. Ici, les murs n’avaient que 1m, 66 d’épaisseur et le mètre cube de maçonnerie ne revenait pas à 11 francs de notre monnaie.

Les prix du mètre superficiel nous révèlent, par leur diversité même, la différence de structure des remparts ; ce sont parfois de simples revêtemens de briques appliqués sur des remblais de terre. Ils coûtent moins cher dans les petites cités que dans les « bonnes villes, » parce qu’ils sont plus minces ; et chez les châtelains, au moyen âge, la massivité des murailles était le critérium de l’opulence, comme le furent aux temps modernes les lambris dorés ou les plafonds peints.

Dans ces donjons à l’accès situé parfois dans le vide, comme un perchoir ou un nid d’oiseau, abordables seulement avec une échelle ou par des courtines aussi dangereuses pour les défenseurs que pour les assaillans ; dans ces logis-armures dont les sous-sols et les combles renfermaient tout le nécessaire de la vie : magasin de denrées ou « garnison, » moulin, cour, puits, écuries et étable, une salle unique servait aux propriétaires de chambre à manger, à causer et à dormir. Confians dans l’œil du guetteur, qui veillait au sommet de la tour trivialement baptisée d’Engoule-Vent ou de Froid-Cul, les habitans défiaient les surprises, sinon les sièges ; car les forteresses soi-disant imprenables ont toutes été prises plusieurs fois, du XIIIe au XVIe siècle, après des assauts plus ou moins rudes et un blocus plus ou moins long.

Mais s’ils vivaient tranquilles, ils s’aperçurent qu’ils vivaient très mal sitôt que la guerre privée cessa d’être légitime et fructueuse. Ces maisons fortes étaient précieuses aussi longtemps qu’elles permettaient de dominer ou de se défendre : au XIVe siècle une position stratégique était si recherchée qu’il s’y campait parfois deux forteresses, toutes voisines l’une de l’autre : dans telles localités comme Charlus ou Gimel, en Limousin, se voyaient un « château supérieur » et un « château inférieur » appartenant à deux familles différentes. A Miremont, en Auvergne, les mêmes murailles sont alloties entre deux seigneurs : chacun a son corps de logis flanqué de deux tours, l’une carrée