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Comme leur rencontre ressemblait peu à ce qu’elle avait imaginé !

— Je suis désolée pour elle ! bégaya-t-elle.

Deering, sans répondre, marcha lentement jusqu’au bout de l’atelier, et s’arrêta devant une toile posée sur le chevalet. C’était le paysage qu’il avait commencé l’automne précédent pour le Salon de mai. Mais il était resté inachevé, et Lizzie se demandait s’il y avait seulement touché, depuis le jour d’octobre où, debout près du chevalet, elle avait confessé son incapacité à discipliner Juliette. Deering eut peut-être la même pensée, car il eut un petit rire sec et se détourna du tableau en haussant l’épaule.

Le silence se prolongeait. Lizzie finit par se dire que, puisque son élève était absente, elle n’avait aucune raison de rester davantage. Deering s’approchait d’elle ; elle se leva et dit avec effort :

— Alors, je m’en vais. Vous me préviendrez quand elle reviendra.

Deering hésita encore, tordant toujours sa cigarette entre les doigts.

— Elle ne revient pas ; du moins pour le moment.

À ces mots, Lizzie crut défaillir. Tout allait donc être changé dans leur vie ? Mais oui, sans doute ! Comment avait-elle pu rêver qu’il en serait autrement ? Elle balbutia :

— Elle ne revient pas ? elle ne sera pas ici cet été ?

— Il est probable que non, puisque nos amis veulent bien la garder. Le fait est que je suis obligé d’aller en Amérique. Ma femme a laissé une petite propriété… quelques sous… Il faut que j’aille voir cela… pour l’enfant.

Lizzie restait debout devant lui, le cœur glacé.

— Je comprends, je comprends, répétait-elle, tout en sentant qu’elle comprenait de moins en moins.

— C’est bien ennuyeux d’avoir à décamper, reprit Deering, en jetant un regard maussade sur son atelier.

Elle leva lentement les yeux sur lui.

— Serez-vous longtemps parti ? demanda-t-elle timidement.

— Je ne peux guère savoir… C’est terriblement compliqué.

Il la regarda longuement, d’un air étrange.

— J’ai horreur de ce voyage, dit-il brusquement, comme se parlant à lui-même.