Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/476

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

catholiques, comme tous les autres citoyens, et il sera sans doute en règle avec Rome s’il y parle en homme qui n’engage que lui, au lieu d’afficher la prétention de parler et d’agir en conformité avec la doctrine et même avec les autorités catholiques. Il y avait dans son attitude une équivoque qu’on a fini, à Rome, par trouver dangereuse et qui l’était au moins en un point. Un grand nombre de prêtres étaient entrés dans le Sillon, où ils semblaient perdre leur caractère et s’affranchir de la hiérarchie ecclésiastique pour faire partie d’une organisation où il n’y en avait aucune. Lorsque le Sillon, élargissant à la fois ses cadres et son esprit, a admis parmi ses membres des représentans de toutes les religions et même de la libre pensée, l’inconvénient, pour des prêtres, est devenu des grave. Qu’on s’en soit ému à Rome, rien n’est plus naturel. « Il n’y a pas de hiérarchie dans le Sillon, dit la lettre pontificale… On y entre librement, comme librement on en sort. Les études s’y font sans maître, tout au plus avec un conseiller. Les cercles d’études sont de véritables coopératives intellectuelles, où chacun est à la fois maître et élève. La camaraderie la plus absolue règne entre les membres et met en contact total leurs âmes ; de là, l’âme commune du Sillon. On l’a défini « une amitié. » Le prêtre lui-même, quand il y entre, abaisse l’éminente dignité de son sacerdoce, et, par le plus étrange renversement des rôles, se fait élève, se met au niveau de ses jeunes amis et n’est plus qu’un camarade. » Est-ce là le rôle qui convient au prêtre ? Non certainement, et si le mot de « promiscuité, » qu’emploie la lettre pontificale, est énergique, il n’est pas inexact. Mais ces critiques, qui s’appliquent au Sillon, n’atteignent pas le journal de M. Sangnier, car un journal n’est pas une association ; il est l’œuvre d’un homme ou de quelques hommes qui, ayant une opinion commune, la soutiennent par leur plume. Le journal reste libre, sauf pour l’Eglise le droit imprescriptible de déclarer qu’il ne représente pas ses doctrines, s’il ne les représente pas en effet et si quelque confusion nouvelle s’établit à ce sujet.

Quelles sont donc les doctrines de l’Église ? La lettre pontificale les expose très nettement. « Le Sillon, y dit-elle, a le noble souci de la dignité humaine. Mais cette dignité, il la comprend à la manière de certains philosophes dont l’Église est loin d’avoir à se louer. Le premier élément de-cette dignité est la liberté, entendue en ce sens que, sauf en matière religieuse, chaque homme est autonome. De ce principe fondamental il tire les conclusions suivantes : Aujourd’hui le peuple est en tutelle sous une autorité distincte de lui, il doit s’en