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mère, cette mère qui avait transmis à son enfant ses instincts frivoles, et la privait des soins qui auraient réglé ses penchans. C’était un cercle vicieux d’une fatalité si évidente que, lorsque M. Deering eut murmuré : « Naturellement, si ma femme n’était pas souffrante…, » tous deux, d’un élan simultané, se rejetèrent à l’envi sur « les mauvais exemples » de Céleste et de Suzanne.

— Vous voyez bien, s’écria finalement Deering ; raison de plus pour que vous restiez, et n’abandonniez pas cette malheureuse à l’influence des domestiques.

— Mais puisque je ne lui fais aucun bien ! gémit l’institutrice.

Deering lui prit la main. « Mais si, mais si ! » dit-il avec douceur. C’est alors que, tout d’un coup, ne sachant pas quoi répondre, Lizzie éclata en sanglots.

— À moi, au moins, vous me faites du bien, vous rendez cette maison moins triste, reprit-il ; et l’instant d’après, elle se vit pressée dans les bras de Deering, qui embrassait son visage trempé de larmes, et à qui elle rendait son baiser.

Ils s’étaient embrassés, voilà le fait nouveau. Une pauvre petite institutrice, vivant à la pension Clopin, à Passy, qui a de beaux cheveux châtains, et des yeux confians, ne peut guère arriver à vingt-cinq ans sans avoir eu quelques banales aventures. Lizzie avait été embrassée à la dérobée, une fois, par un étudiant indiscret, une autre fois par un vieux barbon de professeur, tandis qu’elle se penchait sur le thème qu’il lui corrigeait : mais ces privautés, qui déveloutent la surface, n’ont rien à voir avec le cœur. Ce n’est pas le baiser subi, mais le baiser rendu, qui demeure. Et le premier baiser de Lizzie avait été pour Vincent Deering.

À l’instant où elle s’écartait de lui, quelque chose de nouveau s’éveilla en elle : un sentiment plus profond que la honte et le remords. Un germe engourdi tressaillit au fond de son être et s’éleva d’un élan aveugle vers le soleil.

Elle eût sans doute éprouvé d’autres sensations, la honte et le remords auraient peut-être prévalu, si elle n’avait pas connu combien Deering était bon et tendre, si elle n’avait pas deviné en lui tant de misères et de déceptions. Elle connaissait les déboires de son mariage, et elle soupçonnait une désillusion de même ordre dans sa carrière artistique. Lizzie, qui s’était elle-même timidement essayée à la peinture, se sentait suffisamment