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éveillées en lui, au début du roman, par les noms enchantés de Naples et de l’Italie jusqu’à la catastrophe tragique où va s’écrouler, d’un seul coup, tout le laborieux édifice de ses rêves.


Je ne puis malheureusement que résumer ici, en quelques mots trop rapides, l’origine et les circonstances principales de cette catastrophe, telles que nous les décrit le nouveau roman polonais de M. Ladislas Reymont. Parmi les collègues de Joseph Pelka se trouve un jeune garçon d’origine paysanne, et profondément méprisé en cette qualité par notre gentilhomme, mais qui n’en a pas moins, sur ce dernier, l’énorme avantage d’être né avec un talent artistique qu’il a toujours cultivé dans ses momens de loisir. Un beau jour, Joseph apprend de ce camarade qu’un riche amateur lui a prêté plusieurs milliers de francs, afin qu’il aille poursuivre à Paris ses études de peintre ; et il faut voir avec quel aplomb le « rêveur, » devant cette nouvelle imprévue, affecte de mépriser les impressions, fades et banales, d’un séjour à Paris, tandis que lui-même, à l’en croire, se propose de partir bientôt vers les forêts merveilleuses de l’Amérique Centrale, où des princes de ses amis l’invitent à venir chasser avec eux ! Mais, en réalité, la nouvelle du voyage que va pouvoir accomplir ce misérable « rustaud » achève d’affoler la brûlante imagination du distributeur de billets. Et d’abord celui-ci, dans une admirable scène que j’aurais été heureux de pouvoir traduire tout entière, imagine de voler à son camarade la liasse de billets que le jeune artiste a trop ingénument étalée sous ses yeux. Puis, lorsque enfin il a réussi à dompter ce lâche désir, le voici qui, ne pouvant plus se résigner à l’odieuse fatalité de son existence, décide brusquement de s’enfuir avec le contenu de la caisse dont il a la garde ! Dans des chapitres dont la hâte fiévreuse fait songer aux plus pathétiques peintures de Dickens ou de Dostoïevski, l’auteur s’exalte lui-même à nous raconter chacune des étapes de cette fuite haletante, et, par exemple, la rencontre soudaine du voleur avec la jeune femme qui naguère était venue se réfugier tendrement près de lui. Joseph maintenant la supplie de l’accompagner à Paris, ayant déjà commencé à éprouver cette horreur de la solitude qui sera, de plus en plus, la forme la plus cruelle de son châtiment. Mais la jeune femme a deviné en lui un criminel, et, inconsciemment, sa tendresse pour lui s’est mêlée d’un mystérieux effroi : de telle sorte qu’elle l’abandonne à moitié chemin. Et c’est, ensuite, l’arrivée de Joseph à Paris, où tous les quelques jours qu’il va vivre seront pour lui un