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splendeurs de la baie de Naples et l’enchantement du soleil italien. Né de parens nobles, mais orphelin dès l’enfance et sans la moindre fortune, force lui a été de se résigner à l’humiliation d’une tâche qui, depuis plusieurs années déjà, suffit à l’empêcher de mourir de faim. Aussi bien accomplit-il cette tâche avec la régularité machinale que nous avons vue, n’ayant rien autour de soi pour l’en divertir : car il n’aime ni le jeu ni le vin, ni même les plaisirs galans sous la forme où ceux-ci lui seraient accessibles. Profondément étranger à toute la réalité qui l’environne, il vit tout entier dans ses rêves, par un instinctif besoin de son âme de poète manqué ; et comme le hasard de sa destinée l’a plongé de bonne heure dans le monde particulier des chemins de fer, il n’est pas étonnant que ses rêves aient revêtu chez lui, de plus en plus, l’aspect d’une véritable passion, — ou folie, — de voyages. Au contact de ces mains de toute espèce à qui, chaque jour, il distribue des moyens d’explorer toutes les régions de la terre, un désir maladif lui est venu d’explorer à son tour ces régions merveilleuses que lui seul d’ailleurs, grâce au double privilège de sa naissance et de son génie, sera capable d’apprécier enfin dans toute leur beauté dénature ou d’art. Et ainsi, sa chaude imagination s’est enflammée peu à peu, alimentée encore par une lecture continuelle des « guides » et des récits de voyages : au point qu’il lui arrive parfois de se laisser prendre soi-même aux mensonges et aux vantardises qui, presque constamment, lui sont suggérés par son souci d’affirmer sa supériorité sur la misérable « racaille » de son entourage. Ses journées comme ses nuits s’écoulent désormais dans une étrange atmosphère de visions et d’aspirations idéales où il lui est sans cesse plus difficile de distinguer nettement entre les faits authentiques de sa vie et les belles aventures que sa rêverie s’obstine infatigablement à leur substituer : tantôt s’exaltant à ressentir jusqu’au bruit et à l’odeur d’une rue de Séville ou d’un quai de Rio-de-Janeiro, et tantôt retombant avec désespoir dans l’odieuse banalité de son petit bureau tapissé de billets.

Et peut-être, déjà, un « cas » psychologique tel que celui-là sup-pose-t-il une conformation du cerveau possible seulement chez une race dont l’imagination ne se trouve pas retenue, à toute heure, par l’actif et vigilant contrepoids du « bon sens, » — d’une race à l’oreille de qui la calme voix de la « réalité » ne parle pas assez haut pour l’empêcher d’entendre sans arrêt l’appel insinuant de la fantaisie. Mais combien plus nettement encore la marque distinctive du caractère polonais, dans l’âme éperdument chimérique de Joseph Pelka, se révèle à nous