Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/461

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais les erreurs des techniciens improvisés, qui ont trop longtemps mesuré la valeur ou le classement d’une route à sa seule largeur, n’ont pas eu de conséquences aussi regrettables que les préjugés qui ont dominé dans l’exécution des travaux. Après quelques années d’indifférence politique, on a malheureusement tenté d’introduire à Madagascar les querelles du salariat et du patronat ; on a excité contre les succès du « capitalisme » les convoitises du « prolétariat ; » on a voulu socialiser les entreprises en remplaçant quelques gros entrepreneurs par une foule de petits qui trouvaient ce vocable plus noble que celui de tâcheron. Pour rendre la fortune accessible à tous en éliminant les adjudicataires importans, on a fractionné les travaux en multiples lots dont la valeur restreinte ne pouvait tenter l’activité de ceux qui avaient dirigé les grandes entreprises des premières années de l’occupation. Les appels d’offres n’exigeant plus la production des certificats de capacité, la situation d’adjudicataire de routes, de ponts, d’édifices publics, parut alors plus enviable que celle de prospecteur. Les concurrens se présentèrent en foule, et firent des rabais de 30 à 40 pour 100 sur les devis de l’administration. La plupart, ne disposant pas d’avances pécuniaires pour l’organisation des chantiers, contractaient des emprunts à des taux de 12 à 15 pour 100. Dans ces conditions, les bénéfices sur des entreprises de faible importance, où les séries officielles des prix sont déjà calculées avec une rare parcimonie, ne peuvent être que négatifs. Les travaux, mal surveillés par les agens du contrôle administratif, sont le plus souvent mal exécutés. Les contestations entre la main-d’œuvre et les employeurs se multiplient, les ponts s’écroulent, les talus s’éboulent, les empierremens sont emportés par les pluies, et le budget d’entretien se transforme en budget de réfection.

Un bon réseau routier est cependant indispensable, ainsi que nous l’avons démontré. Pour l’obtenir, il faut renoncer à des erremens funestes. Il faut écarter des adjudications les incompétens et les brouillons ; il faut appliquer avec une juste sévérité les pénalités des cahiers des charges pour les malfaçons et les délais d’exécution ; il faut que la réception des travaux ne soit pas une vaine formalité ; il faut enfin donner aux entreprises l’importance et la valeur d’autrefois pour attirer ou conserver à Madagascar les entrepreneurs habiles, bien outillés, disposant de forts capitaux, qui seront seuls capables d’exécuter les travaux