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oublier qu’ils partagent ce travers avec les peuples ou très jeunes, ou très vieux. Nous avons vu chez un vice-roi du Yunnan un interprète chinois, à qui son indiscutable intellectualité n’avait pu faire oublier les préjugés de sa race, présenter avec une absolue bonne foi le directeur général des travaux publics d’Indo-Chine, inspecteur général des Ponts et Chaussées de France, comme « un chef ouvrier, inaccessible aux spéculations supérieures de l’esprit, » et socialement inférieur à un lettré. Les Hovas sont trop enclins à cette mentalité que développeront encore des innovations politiques prématurées, telles que le décret de naturalisation. Ils sont intelligens, adroits ; le sens commercial n’est pas rare chez eux. La conquête française a fait cesser un nationalisme de trop fraîche date pour que nous ayons à redouter des rancunes patriotiques ou des espoirs de revanches guerrières. Nous n’avons pas davantage à craindre une explosion de fanatisme religieux, puisque, dans toute l’île, il n’y a pas trace de religion nationale et que la propagande chrétienne, en s’y exerçant librement, nous donnerait en quelques générations des sujets ayant les mêmes conceptions morales que leurs conquérans. Aucune autre de nos colonies ne possède réunies toutes ces garanties de paix intérieure et de collaboration intime entre vaincus et vainqueurs. Pour obtenir la réussite complète de nos projets civilisateurs, du programme d’exploitation productive, il nous suffira de faire multiplier la race, de répandre une instruction pratique et non un enseignement mandarinal, de mettre fin à l’exportation de l’anti cléricalisme, et surtout de renoncer à voir dans Madagascar une sorte de terre promise où se réalisent sans peine toutes les ambitions.


II

Cette illusion est celle qu’il importe le plus de ruiner. Pendant longtemps elle a fait oublier les sacrifices et les fautes immenses de la conquête en 1895. On ne croyait pas avoir payé trop cher l’annexion d’une « France australe » où nos créoles de la Réunion pourraient en peu de temps édifier de nouvelles fortunes à l’abri des haines de races, où les émigrans de la métropole viendraient nous rendre un équivalent du Canada. La constitution physique de l’île semblait autoriser ces vastes espoirs. La zone côtière, avec un climat tropical, attendait les