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tempérament maladif : sa prédisposition aux bronchites, son amaigrissement effrayant lors de l’adolescence, la fréquence de ses syncopes, permettent de diagnostiquer chez lui une phtisie commençante, et l’on sait que c’est justement cet état morbide qui le sauva de la colère de Caligula : le tyran jugea que ce n’était pas la peine de faire tuer un homme si proche de la mort. Or les tuberculeux, les « embrasés, » comme les a appelés un romancier de nos jours, ont au moral la même fébrilité qu’au physique : ils s’éprennent et se lassent également vite de tout. La jeunesse de Sénèque nous montre plusieurs de ces passagères flambées d’enthousiasme. Séduit d’abord par l’enseignement des rhéteurs, il s’en dégoûte bien vite, et il n’y a certes pas lieu de le lui reprocher ; mais cet abandon rapide contraste avec la docilité de tant d’autres jeunes gens, qui restaient obstinément attachés aux leçons de leurs maîtres. Il est ensuite conquis par la prédication morale des Attale, des Sotion, des Fabianus, et aussitôt il embrasse dans toute sa rigueur le genre de vie ascétique qu’ils recommandaient, couchant sur la dure, ne prenant plus de bains chauds, ne buvant plus de vin, ne mangeant plus de viande, d’huîtres ni de champignons, s’astreignant, non sans risquer sa vie, à une règle vraiment monacale. Cette « conversion, » fortement combattue par son père, ne dure pas très longtemps, et, vers la vingtième année, nous voyons le jeune homme vivre comme tout le monde et se destiner à la carrière des honneurs. Puis vient une nouvelle crise de ferveur philosophique, mais un peu différente de la première : le guide de Sénèque n’est plus un stoïcien ni un pythagoricien, c’est un cynique, Démétrius, pour qui il se passionne autant qu’il l’avait fait pour ses précédens directeurs. Ces leçons de renoncement, de mépris des biens terrestres, laissent-elles en lui une trace bien durable ? On en peut douter, puisque c’est justement l’époque où il est le plus répandu dans les cercles mondains, applaudi du public élégant, et en coquetterie avec les plus grandes dames. Jusqu’ici, sa vie morale a été faite d’accès plus ou moins courts d’ascétisme, entrecoupés de périodes de relâchement et de tiédeur.

Voici maintenant des circonstances plus graves, la disgrâce, l’exil. Sénèque, sur le premier moment, roidit toute son énergie contre le malheur. Pendant quelque temps, il met en pratique virilement, presque joyeusement, les nobles leçons de ses