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Il partit le 14 avril. Il arriva à Montpellier le 16 : Il fut logé, non pas chez les Saint-René Taillandier dont « il ne voulut pas effrayer les enfans, » mais dans une maison voisine. Sa chambre « en plein soleil » donnait « de plain-pied dans un jardin rustique. » Il y reçut les soins du médecin Combal et les visites quotidiennes, prolongées, affectueuses, bienfaisantes, du couple ami. Entré en agonie le dimanche 2 mai, il expira le 3, à cette heure ambiguë, où, des ténèbres éclaircies, s’apprêtait à surgir ce qu’Alfred de Vigny appellera bientôt « la triste Aurore. »

Au moment où la mort lui parut certaine, après avoir fait expédier à sa mère un mandat de deux cents francs sur l’argent qui lui restait à dépenser, Brizeux avait exprimé le souhait que quelqu’un sollicitât pour lui ce qu’il avait lui-même obtenu pour Le Gonidec, une souscription pour rapporter son corps dans la patrie bretonne.

Dès le 4 mai, Ernest Boyer faisait part à Vigny de cette fin et de ce vœu :


Monsieur le Comte,

Je reçois à l’instant la nouvelle de la mort de mon pauvre frère. Avant de mourir il a demandé à être transporté en Bretagne : il a eu la même pensée que nous tous.

Pouvez-vous voir M. de Mercey ?

Recevez, Monsieur le Comte, l’assurance de ma considération la plus distinguée.

E. BOYER.


Alfred de Vigny répondit le 6 mai :


Hélas ! Monsieur, je conservais un peu d’espoir : tout est donc fini ! Il est donc bien vrai qu’en si peu de temps, cette maladie si longue ordinairement et qui frappe la poitrine nous enlève un frère, car je l’aimais comme si j’avais ainsi que vous dans le cœur le sang de la même mère.

Hier au soir, j’ai reçu votre lettre et, dès ce matin, j’ai vu M. Fould. Le ministre d’État très frappé, surpris, affligé de votre perte, de votre douleur et de la mienne, s’est prêté avec le plus grand empressement à faire que votre désir de translation des cendres fût religieusement accompli.

C’est le ministre de l’Instruction publique qui seul a droit d’accorder ces choses, mais il m’a promis de lui en parler dès demain lui-même et il a pris, de sa main, les notes nécessaires.

M. Camille Doucet, directeur des Beaux-Arts, pénétré de chagrin à cette douloureuse nouvelle, s’est chargé du rapport et de l’exécution des intentions de M. Fould. Il regarde comme certain ce dernier honneur rendu à une mémoire qui ne périra pas.