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La réponse ne tarda pas et elle fut encourageante. Brizeux s’appuie sur ce qu’elle contient pour faire part, le 4 décembre 1854, à son ami Lacaussade, de ses espérances « d’entrée. » Dans un billet, cité par l’abbé Lecigne, il lui écrit : « De Vigny vient de m’en parler et cherche à me préparer des voix qui, bien entendu, seront plus d’une fois insuffisantes, puisque, avec les concurrens littéraires, viennent à présent les évêques et les grands seigneurs. Cependant, il faut s’armer pour la lutte. »

Il est donc à Paris, pour tenter un premier effort, au mois de décembre 1855, comme semblent bien l’indiquer deux très courts billets inédits du 17 et du 25 de ce mois, et un autre du 1er janvier 1856 : il annonce, dans celui-ci, sa visite à Vigny pour le lendemain. Il apprend là que le moment n’est pas venu. Le poète valétudinaire ne s’attarde pas dans les neiges et les boues glacées d’un hiver parisien exceptionnellement rigoureux : il quitte la partie.

Sa santé se trouve assez bien du beau temps qu’il rencontre, au début de l’été de 1856, sur la côte en face de Brest. C’est là qu’il est informé de la promotion d’Alfred de Vigny comme officier de la Légion d’honneur ; il l’en félicite avec joie. Comme on le pense bien, Alfred de Vigny, qui a gardé jusqu’aux moindres billets de Brizeux, n’a pas laissé perdre cette lettre de complimens :


Cher ami,

Près de la rade insigne
Où peuvent manœuvrer deux cents vaisseaux de ligne,

comme disait un poète que vous connaissez, sont les restes d’une antique abbaye, très antique puisqu’elle date du IVe siècle. Elle fut détruite à la Révolution, et sa curieuse église et sa plus curieuse bibliothèque. Les vers inédits du barde Guîclan servirent, avec les autres manuscrits, à faire des gargousses.

C’est là que j’ai été chercher la poésie. C’est là que m’est venue la nouvelle qui vous concerne. Cette étoile agrandie me semble d’un heureux augure : ainsi, mes amicales félicitations, et à votre dame mes obéissances.

A. BRIZEUX.


Cette lettre sera mise, ce soir, à la poste de Brest, d’où j’irai à Kimper, puis, après quelques jours, à Lorient (Morbihan) où, j’espère, Philoctète[1] m’enverra de ses nouvelles.

  1. Alfred de Vigny a fait une chute et s’est blessé au pied : c’est lui-même qui s’est donné, à ce moment, ce nom de Philoctète.