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poétiques, c’est une couronne assurée aussitôt, et l’acheminement assez prochain vers le fauteuil. » La couronne ne fit pas défaut, et Brizeux put penser qu’il verrait s’accomplir toute la prophétie.

Même avant d’obtenir sa médaille d’or de premier ordre, il se laissait bercer de l’autre espoir. Il reprenait sa dédicace en prose du Journal poétique, l’ornait de rimes choisies, et l’adressait, de Scaër, le 25 octobre 1854, à Vigny. Il y joignait ce commentaire :


Pendant que vous êtes rentré dans votre élégant faubourg et revenu à votre vie élégante, me voici, moi, revenu à ma vie rustique, à six ou huit lieues de toute ville, en oubliant, je le vois aux ratures déjà faites dans cette lettre, le français. Je l’écris, il est vrai, l’oreille distraite par le son des cornemuses, car c’est noces au bourg, et l’on danse sous mes fenêtres. Il faudrait bien que la musique pût donner un peu de cœur à ces braves gens, tant, malgré une abondante récolte, la misère est grande chez les journaliers et tous ceux qui n’ont pas de terre. La vie, autrefois si facile, a doublé de prix, et leur poète même, qui venait ici sur d’heureux souvenirs, ne reconnaît plus, sous ce rapport, son heureux pays. Les économistes ne s’applaudissent pas moins ; mais le pauvre en est aux pommes de terre malades et au pain sec, quand il en a. Pour lui, plus de gibier, plus de poisson, plus même de beurre. Tout va en Angleterre, à Paris, on ne sait où. Il ne reste que la misère et la dysenterie !

Je tâche donc, mon ami, d’ouvrir l’oreille au chant de la bombarde, et aussi à d’heureuses nouvelles venant de Paris : — « Une belle inspiration du cœur a dicté de justes paroles à Alfred de Vigny. Vous voilà posé en candidat devant l’Académie française et je me réjouis de Voir cette candidature acceptée, comme elle l’a été, m’a-t-on dit. » [F. Denis. ] Plus loin, il (Denis) ajoute : « Barbier a eu un excellent article des Débats, qui lui vient d’une bonne pensée d’A. de Vigny : décidément votre ami est le seul digne parmi ses pairs et avec ses pairs. » — Voilà, cher ami, comme le bien se répand ! Comme barbier, que ne suis-je à Paris pour vous aller serrer la main, et vous remercier de cette initiative qui, partant de vous, arrivera peut-être à bien dans quelques années. — Ainsi je me vois ramené au commencement de ce billet, et il faudrait de nouveaux vers ; mais, je le disais aussi, j’ai le cœur triste et je ne trouverais pas un chant digne de toute ma reconnaissance. Sachez seulement, cher ami, que je suis votre éternellement dévoué.

A. BRIZEUX.


Que votre Dame[1], en agréant nos obéissances, veuille bien me rendre un bon office : vous exciter à me répondre.

  1. Cette expression « votre Dame « n’est rustique et gauche qu’en apparence. Brizeux lui donne son ancien sens. Elle apparaît dans les lettres de cette date et y revient plus d’une fois.