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un abattement profond, Brizeux douta de lui, je crois, et dut souffrir de sa demi-défaite.

C’est ici que l’amitié d’Alfred de Vigny trouve matière à s’exercer et se montre empressée, active, ingénieuse. Pendant que le lutteur froissé, sinon vaincu, rentre dans l’ombre, au fond de sa retraite de Scaër, et malade, et découragé, au point de dire et de penser que sa mort est prochaine, se remet sans conviction à préparer pour l’éditeur, qui la réclame, une seconde édition des Bretons, le nouvel académicien, devenu le confrère du ministre de l’Instruction publique, M. de Salvandy, un ancien romantique, obtient de lui pour son ami Brizeux la croix de la Légion d’honneur. Voici le billet inédit par lequel le ministre informe Alfred de Vigny du résultat de ses instances :


12 mai 1846, mardi.

Monsieur et cher collègue, je m’empresse de vous informel’ que par une ordonnance royale signée le 6 mai, le Roi a nommé chevalier de l’Ordre royal de la Légion d’honneur M. Brizeux, homme de lettres.

Je suis heureux d’avoir à vous transmettre cette décision de Sa Majesté en faveur d’une personne que vous m’avez fait l’honneur de me recommander.

Recevez, monsieur et cher collègue, l’assurance de ma considération la plus distinguée.

Le ministre de l’Instruction publique,

SALVANDY.

P.-S. — M. Brizeux, qui réside ordinairement à Lorient, pourrait se trouver dans ce moment à Paris, et j’ai pensé qu’il vous serait agréable de lui faire directement tenir sa lettre.

A M. Alfred de Vigny, de l’Académie française, à Paris.


À ce billet Alfred de Vigny avait épingle le brouillon autographe de sa réponse :


Tout au milieu de ses beaux paysages bretons et des héros pacifiques de ses ouvrages, demeure le poète à qui vous rendez cette justice que vous m’avez dite hier avec tant de bonne grâce, monsieur. Voici son adresse : ne se croirait-on pas en Allemagne ?

Scaër par Rosporden,
Arrondissement de Quimperlé.
(Finistère.)

Et tout cela est en bonne terre de France cependant. En vous quittant, je lui ai écrit. Vous m’avez réservé cette douce joie d’annoncer le bien que vous faites : je vous en remercie encore. C’est ainsi