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sans doute, réussi à faire accepter, dans la Revue des Deux Mondes ou au Journal des Débats, et sa prose et ses vers : le 1er janvier, une étude sur la Poésie d’Emile Deschamps ; le 5 février, un article de Variétés littéraires sur Kératry ; le 1er avril, des impressions de voyage sur Venise ; le 15 décembre, un poème, Scientia. Mais tout ce labeur alimentaire a pour principal résultat d’ajourner le livre important, l’épopée entrevue. Le poète qu’il est en souffre, et Alfred de Vigny le plaint.

C’est pour remédier à ce mal que l’auteur de Stello se met en tête de faire attribuer à Brizeux, par l’entremise de Dittmer, un appui pécuniaire régulier, cette subvention annuelle de 1 200 francs, qui lui fut allouée, mais dix ans plus tard, sur les fonds du département de l’Intérieur et sous le prétexte de « l’aider à exécuter son Dictionnaire topologique des anciennes provinces de France. » Dans une lettre inédite du 7 mai 1833[1], Brizeux rend grâce à Vigny de ses premières démarches :


Votre affaire (car vous en avez fait la vôtre) me semble en bon chemin ; n’y pouvant rien ni vous non plus, je la laisse conduire à la fortune ou plutôt à l’excellent M. Dittmer qui, par égard pour vous, fait tout pour moi. J’aurais été vous remercier de sa lettre sans une indisposition qui depuis deux jours me retient dans la chambre ; si je ne vous écris pas demain, c’est que je ne pourrai. J’ai aussi à vous reporter tous les complimens qui me sont adressés au sujet de votre croix[2] ; on ne m’en ferait pas plus pour moi-même. C’est bien apprécier les sentimens que je vous porte et qui me font espérer la continuation de votre amitié.

A. BRIZEUX.


Au mois de décembre de l’année 1833, Brizeux reçut, par l’intermédiaire de Sainte-Beuve, une proposition inattendue. Jean-Jacques Ampère, appelé à Paris comme suppléant de Fauriel, était forcé d’abandonner le cours public qu’il avait accepté de faire à l’Athénée de Marseille. La succession fut offerte à Brizeux : il l’accepta. Ce poète portait en lui toute une provision de théories, — c’est un trait qu’Alfred de Vigny avait bien aperçu et qu’il notera finement, dès 1833, dans son journal intimé, — il trouvait une occasion de les produire, non plus dans le tête-à-tête avec l’ami Barbier, mais à la face du public : ce n’était pas pour lui déplaire. Mais il était heureux, surtout, de s’acheminer vers l’Italie et de se procurer, par quelques

  1. J’en ai cité ailleurs les trois premières lignes.
  2. Alfred de Vigny venait d’être fait chevalier de la Légion d’honneur, huit ans après Lamartine et Victor Hugo.