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grand’mère. Très peu de jours après, au commencement de septembre, il s’armait d’un bâton et s’en allait, pour la première fois, de bourg en bourg, de ferme en auberge et de chaumière en presbytère, à travers les routes tracées ou les sentiers perdus de la Bretagne. Il partait à la recherche de la couleur locale, du détail vrai et expressif, des façons de parler ou des façons d’agir des laboureurs et des pâtres de son pays, faisant sa joie et son butin de leurs dictons, de leurs chansons, de leurs légendes. Il se proposait d’employer tout ce trésor de traditions à la construction d’une vaste épopée. Avant d’en avoir bien déterminé le plan, qui restera toujours trop incertain, ou même d’en avoir approfondi l’idée, il en donnait déjà le titre, Les Bretons.

C’est dans ces premières journées de septembre 1832 qu’il découvrit son séjour d’élection, le bourg, alors si pittoresque, de Scaër ; la maison qu’il occupa plus tard, d’où il voyait, par la fenêtre de sa chambre, dans l’herbe épaisse du petit cimetière servant de cour à l’église gothique[1], les parois d’une fosse fraîchement creusée et attendant la descente du mort ; la fontaine de sainte Candide aux mystérieuses vertus ; l’auberge des Rodallec où il prendra tous ses repas pendant plusieurs années ; les gars trapus de la contrée, robustes batailleurs aux longs cheveux flottans sur de larges épaules, et les filles au profil tin, aux yeux rieurs ou soucieux, aux dents belles, au teint en fleur, à la collerette rigide et rabattue, éblouissante de blancheur, à la coiffe de lin brodée, dont l’édifice si charmant laisse tour à tour, et presque au même instant, une double impression de piquante coquetterie et de réserve virginale.

Il revit Arzano, le presbytère où il avait étudié, l’église en dur granit gris au curieux clocher flanqué d’une tourelle en échauguette, les toits de chaume bien construits, prenant des airs d’architecture ordonnée et demi-savante avec les courbes qu’ils décrivent, de place en place, pour encadrer d’un arc gauchi les fenestrons carrés ; il retrouva le Moustoir, ses cinq maisons et cet antique puits où Marie remplissait ses cruches ; il retourna s’asseoir, comme autrefois, devant le pont Kerlo, le pont de bois disparu aujourd’hui. A l’endroit même où surgissait cette charpente vénérable, la nappe du Scorf, à la fois

  1. Elle a été abattue depuis, et remplacée par un édifice de style roman : le church-yard a disparu.