Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/326

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

uns le placent à Alaise en Franche-Comté, les autres à Alise en Bourgogne. Le prince prend résolument parti pour ces derniers par des raisons stratégiques. En homme qui a fait campagne, il étudie la configuration des lieux, la carte d’état-major à la main, il élimine les emplacemens qui trahiraient une trop grande inexpérience de la part des chefs des deux armées, et il s’arrête au seul point qui lui paraisse convenir à la fois aux règles de la guerre et au texte des Commentaires. Malgré l’opposition de Quicherat avec lequel il discute courtoisement, il semble que l’opinion du prince ait prévalu. Mais il y a dans cette étude autre chose que le résultat d’une petite victoire archéologique. Le peintre des grandes batailles du milieu du XVIIe siècle, l’historien des Condé s’annonce. Nulle part on ne trouverait une peinture plus forte de la lutte suprême engagée entre le génie de César et le patriotisme de Vercingétorix.

Du côté des Gaulois, la plus éclatante bravoure, un général plein d’audace, mais peu de cohésion entre les autres chefs, la mésintelligence entre les tribus, les ordres, souvent discutés, quelquefois même trahis. Deux choses leur manquent : la science de la guerre et l’unité du commandement. Ils sont trois cent mille au moins ; bien conduits et étroitement unis, ils pourraient écraser de leur masse les cinquante mille soldats de César. Leur échec prouve une fois de plus la supériorité d’une troupe peu nombreuse lorsqu’elle est disciplinée et commandée par un chef de premier ordre sur des centaines de mille hommes sans discipline et sans une instruction militaire suffisante. Rarement, César courut un, plus grand danger. Vainqueur de Vercingétorix en bataille rangée, il l’avait poursuivi l’épée dans les reins et obligé de se renfermer entre les murailles d’Alésia. Mais là commençait pour l’armée romaine une redoutable épreuve : tenir tête à une garnison supérieure en nombre, solidement retranchée et approvisionnée, faire face aux sorties que les assiégés tentaient et empêcher tout secours du dehors d’arriver jusqu’à eux. César, en reconnaissant la force de la position, ne songea pas à la possibilité d’un assaut ; il n’avait pas assez de combattans sous la main pour les exposer à des opérations meurtrières. Ce n’est pas un siège qu’il entreprit, il se borna à bloquer l’ennemi, à tracer autour de la place deux lignes de circonvallation. Travail gigantesque qu’aucune autre armée n’aurait pu accomplir en si peu de temps !