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Savoye. Le roi Jean y vit entouré des gentilshommes qui ont été pris avec lui à la bataille de Poitiers et tous y jouissent d’une liberté relative. À condition qu’ils s’engagent à ne pas tenter de prendre la fuite, il leur est permis d’aller et de venir à leur fantaisie. La chasse, les chiens, les chevaux, les fauconniers tiennent une grande place à cette date dans les comptes de la dépense royale. Avec sa réputation de bravoure, avec son goût pour les exercices physiques, avec l’aménité de son caractère, le Roi ne pouvait manquer de plaire aux barons anglais. « Il y avait peu d’animosité, il y avait presque conformité de langue et d’habitudes entre la noblesse des deux nations. » La haute société anglaise témoigne aux prisonniers les attentions les plus délicates. Deux très grandes dames, la comtesse de Warren et la comtesse de Pimbroke, lui font des envois de venaison, de gibier, de poisson. Honni soit qui mal y pense ! Pour répondre aux insinuations malveillantes de quelques historiens, le Duc d’Aumale établit que les deux comtesses avaient dépassé la cinquantaine.

Cette lune de miel ne dura pas indéfiniment. Au bout de deux ans, les bonnes dispositions d’Édouard III se refroidirent, lorsqu’il s’aperçut que le régent de France ne se résignait pas à accepter les conditions humiliantes auxquelles le vainqueur subordonnait la libération du vaincu. Craignait-il une tentative de délivrance, ou voulait-il simplement marquer son mécontentement ? Pour l’une ou pour l’autre de ces deux raisons il commença par resserrer à l’hôtel de Savoye même la captivité du prisonnier en ne lui permettant plus de circuler librement, puis il le transféra au château d’Hertford et de là à Somerton, d’où on le ramena à Londres, mais cette fois pour renfermer à la Tour sur la nouvelle qu’un parti français venait d’opérer une descente en Angleterre. Cependant la durée de la guerre entraînait de tels maux pour les deux pays, la résistance qu’opposaient les grandes villes de France à l’invasion était si générale que le roi d’Angleterre consentit à diminuer ses prétentions et à signer la paix de Brétigny.

Pendant ces quatre années de captivité, le prisonnier, que la bonté de son caractère avait rendu extrêmement populaire reçut de ses sujets de nombreux témoignages de dévouement. Quoique le pays fût en grande partie dévasté, ruiné par l’occupation anglaise et par les excès des grandes compagnies, les