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à l’Espagne, la trouverait-on soit à la bibliothèque du Louvre, soit au ministère des Affaires étrangères ? Revenant en arrière et se proposant d’étudier la vie de Louis Ier, chef de la maison de Condé, il demanda au Dépôt de la Guerre, pour en faire prendre le calque, la carte du champ de bataille de Jarnac. Sans cette minute, il ne réussit pas à comprendre le récit des écrivains contemporains et des témoins oculaires. La grande histoire des Condé ne sera publiée que beaucoup plus tard, mais les lettres du prince nous apprennent avec quel soin minutieux elle a été préparée, pendant combien d’années il en a porté le plan dans sa tête avant de le mettre à exécution. C’est ce besoin de documens authentiques et d’informations précises qui l’a décidé à ne pas traiter la question de l’Algérie, ainsi qu’il y avait songé à plusieurs reprises. Éloigné de France comme il l’est, n’ayant pas accès dans les ministères, trop de documens officiels lui manqueraient, il craindrait de n’être ni assez exact, ni assez complet.


II

Au-delà de la Manche, le prince suivait d’un œil attentif ce qui se passait en France ; il en parlait peu à ses correspondans, surtout depuis le 2 décembre, dans la crainte que ses lettres ne fussent décachetées par la police et ne pussent compromettre ses amis. Un jour arriva cependant où l’émotion qu’il éprouvait le fit sortir de sa réserve habituelle. Il ne vit pas sans une inquiétude patriotique la France engagée à la remorque de l’Angleterre, dans une lutte avec la Russie. Il considérait la nation anglaise comme une très grande nation, il n’oubliait pas d’ailleurs ce qu’il devait à son hospitalité ; mais il était fixé sur son désintéressement dans la question européenne, il connaissait les traditions de sa politique, il savait à merveille, — et il l’en louait du reste, — qu’à aucun moment elle ne servirait sur la surface du globe d’autres intérêts que les intérêts anglais. Qu’allions-nous faire dans cette aventure, quel profit allait en retirer la France avec des alliés si peu occupés des autres ? Si ces réflexions assiégèrent au début l’esprit du Duc d’Aumale, elles firent bientôt place à un sentiment d’un tout autre ordre lorsqu’il vit la guerre déclarée. Quelle que fût son opinion sur un gouvernement qui le tenait en exil et qui venait de confisquer les biens de sa famille, il n’eut pas une minute d’hésitation sur ce