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obéi un auteur de telle date à telle date, étant posé avec le plus de certitude possible et non pas au juger, avec qui il a fréquenté, ce qu’il a lu, ce qu’il n’a pas pu lire, ce qu’il a vu et ce qu’il n’a su que par ouï dire, etc. ; — ces méthodes qui ne mèneront jamais qu’à des probabilités, car nous sommes ici « dans une pauvre science conjecturale, » mais qui feront qu’on serrera de plus en plus près la vérité ; ces méthodes sont choses sur lesquelles on peut s’entendre, sur lesquelles on s’entend, tandis que sur les questions de goût on ne s’entend pas ; et ces méthodes sont communicables et transmissibles et certainement sont plus ou moins efficaces selon l’esprit qui les emploie ; mais encore peuvent et doivent servir à tous, ne sont pas différentes, ne peuvent pas être différentes, employées par celui-ci ou par celui-là ; donc sont ce qui peut être enseigné, sont la seule chose qui puisse être enseignée, et étant la seule chose qui puisse être enseignée sont la seule chose qui doive l’être et, en dernier mot, sont, par conséquent, renseignement lui-même. Le reste est culture ; ceci seul est enseignement.

Que cet enseignement ait ses excès, ses travers, ses manies, comme tout enseignement et comme tout travail intellectuel, il est si superflu qu’il est naïf de le dire. Il peut donner cette manie des fiches, je n’ose dire cette fichomanie, dont on fait tant de gorges chaudes depuis quelque temps ; il peut amener quelques apprentis à faire des livres qui ne sont que sacs où l’on a versé des fiches. Il peut amener à ne pas faire de livres du tout. J’ai vu à la Bibliothèque nationale un jeune homme qui me montrait un volume manuscrit de deux cents pages, d’une écriture très fine, admirablement ordonné et disposé : « Je veux écrire un livre sur Petrus Borel et ceci, c’est la bibliographie de Petrus Borel. J’y travaille depuis trois ans. Mais est-ce assez bien établi, cette bibliographie de Petrus Borel ! — Certes ! » Et je conclus, ce qui n’a pas été démenti par l’événement, que jamais ce jeune homme n’écrirait son livre sur Petrus Borel.

Oui, sans doute, cet enseignement peut conduire à la minutie stérilisante, parce que tout a son excès pour les esprits faibles ; mais cet excès-ci vaut encore mieux que l’opposé ; car enfin laisser une bonne bibliographie, qui peut servir à un autre, est préférable à écrire un livre où il n’y a rien. La minutie d’un esprit minutieux sera une simple manie de collectionneur ; mais la minutie méthodique d’un esprit consciencieux n’empêchera