Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/299

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vague, amorphe, confuse, que personne, à cause de cela, ne comprendra très bien, mais qui servira pourtant de moyen de communication un peu rudimentaire, un peu barbare, entre les hommes et qui aura avec le français quelques rapports éloignés, à peu près reconnaissables encore.

Pour enrayer cette décadence, les lycées pourraient peut-être quelque chose ; les facultés ne peuvent rien du tout, à moins qu’on ne veuille qu’elles recommencent le travail du lycée, ou plutôt qu’elles fassent ce que les lycées faisaient autrefois dans les classes de troisième, seconde et rhétorique. Je le veux très bien et je dirai même que je le souhaite ; mais le cursus studiorum des facultés étant déjà de trois ans, qu’on sache bien que c’est six ans d’études dans les facultés qu’il nous faudrait pour que les étudians devinssent des professeurs à la fois humanistes comme ceux d’autrefois et spécialisés comme ceux d’aujourd’hui.

Au moins, répondront quelques-uns, que les facultés ne favorisent pas l’antihumanisme et la négligence à l’égard de la langue française, comme elles le font, par exemple, en supprimant la dissertation française aux épreuves communes de la licence. En a-t-elle soulevé de clameurs, cette suppression de la dissertation française aux épreuves communes de la licence ! (Entendez-bien que cela veut dire que les candidats à la licence-histoire, par exemple, n’ont plus à faire un devoir français donné par un professeur de littérature.)

Je conviens qu’au premier regard cette suppression a mauvais air et excite à la polémique. Je conviendrai même, si l’on veut, qu’elle n’a pas été dictée par un excès de confiance et d’amour à l’égard de la littérature. Les historiens, disons-le pour ne rien cacher, et, du reste, ils ont peut-être raison, se défient de l’esprit littéraire. Ils ont peur que, par complaisance pour cet esprit-là, l’historien ne fausse l’histoire, qu’il n’amplifie un fait pour qu’il fasse symétrie avec un au Ire, qu’il ne change les proportions vraies des choses pour que l’ordonnance de la leçon en soit plus belle, qu’il ne sollicite les textes pour obtenir un effet oratoire ou un effet pittoresque, etc. Le spectre de Michelet les hante. C’est une phobie. « Ce jeune homme a l’esprit littéraire ; il ne sera jamais historien. Pour être historien, il faut avoir l’esprit scientifique, et l’esprit scientifique étant exclusif de l’esprit littéraire, exemples Bichat, Laplace et Claude Bernard, du moment que ce jeune homme a l’esprit littéraire, que les portes