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dans ce mot de Flaubert à George Sand : « Ah ! ces bonshommes du XVIIe siècle ! Comme ils savaient le latin ! Comme ils lisaient lentement ! » Savoir le latin et lire lentement, voilà les deux conditions nécessaires pour apprendre le français. L’une des deux, je crois, suffirait à la rigueur. Mais il faut au moins l’une ; et l’une et l’autre n’est point tout à fait surabondance. Nos lycéens ont trop à faire, soit pour apprendre le latin, soit même pour lire lentement des auteurs français. La vérité, c’est que, dix-neuf sur vingt, non seulement ils ne lisent pas lentement ; mais ils ne lisent point du tout. On ne peut pas le leur reprocher très violemment : ils ont trop d’autres choses à faire.

Ajoutez que, de par la quatrifurcation, les quatre cycles, ils se spécialisent à quatorze ans. Or, des quatre cycles il n’y a qu’un, le « grec-latin-français, » qui puisse former un petit humaniste, qui puisse mener un adolescent à écrire en français d’une façon pertinente, et ce cycle, parce qu’il est tenu pour le plus dur, peut-être avec raison, est le moins fréquenté par la population scolaire.

Vous conclurez sans doute, qu’à le prendre dans son ensemble et dans sa quasi totalité, l’enseignement secondaire est excellent, apprend beaucoup de choses, est extrêmement utile, prépare très bien à la vie ; mais est essentiellement un enseignement primaire supérieur d’où presque aucun jeune homme sachant écrire en français ou parler en français (encore moins) ne peut sortir.

Notez enfin que ces jeunes gens sont détournés de la lecture des auteurs français par les influences extérieures autant que par les influences intérieures. A l’intérieur, les créateurs de la langue française, à savoir les auteurs du XVIIe siècle, leur sont interdits, ou tout au moins peu recommandés, ne figurent pas, ou figurent très peu, sur leurs programmes à cause de leurs opinions religieuses, philosophiques et politiques jugées dangereuses dans une démocratie, point sur lequel il y aurait beaucoup à discuter, mais sur lequel je n’ai pas le loisir de m’étendre. — Extérieurement, l’attrait des journaux, que je reconnais qui est grand, les détourne encore plus des livres. Or les journaux sont mal écrits, parce qu’ils sont écrits très vite, pour d’autres causes peut-être encore. La première page en est encore rédigée approximativement en français ; dès la seconde, on tombe dans une collection de barbarismes dans laquelle, pour se divertir, on n’a qu’à choisir. Or c’est là qu’est la littérature de la