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pourrions-nous en dire qui n’en ait déjà été dit ? Mais comment ne pas mentionner dans une chronique de la quinzaine le principal événement qui l’a marqué ? Le circuit de l’Est sera longtemps le principal sujet de toutes les conversations. Les imaginations en ont été frappées, non seulement en France, mais dans le monde entier. Son exécution a été un éblouissement. Il y a quelques semaines, personne ne l’aurait cru possible, et lorsque le journal Le Matin en a pris l’initiative, bien peu encore le croyaient. Cependant le miracle s’est accompli avec une exactitude parfaite, dans les conditions mêmes qui avaient été fixées, et deux des concurrens, Leblanc et Aubrun, ont franchi successivement les six étapes en dépit des obstacles que la pluie et la tempête leur ont quelquefois opposés. Ils sont partis, ils sont arrivés aux jours dits, ils ont vraiment fait la conquête de l’air. Quel champ nouveau ouvert à l’activité humaine, immense comme l’espace respirable au-dessus de nos têtes ! Après être descendu dans la profondeur des mers, il restait à l’homme à s’élever dans la profondeur des cieux. Il l’a fait avec une adresse et un courage qui rappellent l’âge mythologique. Honneur à ceux qui ont péri dans ces nobles entreprises, car tout progrès, hélas ! a ses victimes ! Gloire à ceux qui ont triomphé !

Les aéroplanes, les plus lourds que l’air, sont entrés désormais dans le domaine pratique ; ils ne sont plus un simple instrument de sport ; ils peuvent servir à des buts utiles. Lesquels ? C’est ici que les esprits se sont donné carrière, peut-être avec quelque excès, mais cet excès même était légitime : en somme, toutes les espérances sont permises. Nous publions, dans une autre partie de la Revue, une étude sur les aéroplanes et les dirigeables. Les uns et les autres ont leur mérite et ce n’est pas en parlant d’eux qu’on peut dire : ceci tuera cela. Les Allemands ont cru surtout aux dirigeables et ils ont, trop exclusivement peut-être, concentré sur eux leurs efforts. Nous avons été plus éclectiques, et nous avons lieu de nous en féliciter. Les aéroplanes sont en ce moment nos privilégiés, ils sont les enfans gâtés de l’air, et comme ils servent à l’essor de nos qualités les plus brillantes, nous leur accordons une faveur particulière. Ils en sont dignes, certes, ne fût-ce que parce qu’ils nous ont inspiré une plus grande confiance en nous-mêmes, en nous donnant le double sentiment de ce que peut notre génie et de ce que peut notre hardiesse.

N’exagérons rien toutefois ; les aéroplanes viennent de naître, et quelque merveilleuse qu’ait été leur entrée dans le monde, des réalités, il est encore trop tôt pour dire ce qu’ils y feront. La première