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Ces diversions ne trompent personne. Deux ministres ont pris la parole ces derniers jours, M. Barthou à Pau, dans son conseil général, et M. Millerand à Grenoble : on peut chercher dans leurs discours la vraie pensée du gouvernement. M. Barthou l’a exprimée avec des précautions qui lui sont personnelles et sur lesquelles il a particulièrement insisté, mais il l’a fidèlement reproduite. « Nul, s’est-il écrié comme s’il voulait dissiper les illusions de quelques réactionnaires, nul ne l’a dit avec plus de force que M. Briand : les grandes lois, les grandes et justes lois qui ont fait l’école laïque, supprimé l’enseignement congréganiste et séparé l’Église de l’État, sont le critérium auquel se reconnaissent les républicains dont le gouvernement sollicite le concours, à la fois pour les appliquer et pour les consolider dans la mesure nécessaire. L’école primaire, cette pierre angulaire de la République, que nous maintiendrons contre toutes les attaques, etc., etc. » Nous abrégeons le morceau, parce qu’il est bien connu et que M. Barthou l’a emprunté, en effet, à M. Briand, qui, lui-même, en avait hérité de plusieurs autres. Au surplus, il ne s’agit pas de tout cela. Si l’école primaire, et la séparation de l’Église et de l’État, et la question des congrégations étaient en cause, nous nous en expliquerions en toute franchise. Nous nous entendrions avec M. Barthou sur quelques points, nous différerions de lui sur plusieurs autres ; mais, après avoir épuisé avec lui ces grandes controverses, nous serions à mille lieues du débat actuel. M. Briand l’a fort bien expliqué un jour à la Chambre : le désaccord entre les radicaux et lui ne porte pas sur les questions qui ont été débattues et plus ou moins bien résolues depuis quelques années, il porte sur la méthode même du gouvernement. Sans doute, il faut gouverner avec son parti, mais doit-on le faire pour lui seul et à son profit exclusif, ou pour le pays tout entier ? Tout est là. Les radicaux ont gouverné jusqu’ici pour eux seuls et à leur seul profit ; ils ont accaparé et exploité toutes les forces de l’État, toutes les ressources de l’administration, et, suivant l’expression populaire, il n’y en a eu que pour eux. Le mérite de M. le président du Conseil est d’avoir senti que cela ne pouvait plus durer, et non seulement que la République se déshonorait, mais qu’elle se perdait par cette manière de gouverner ; la réaction était toute proche, elle pouvait être assez violente pour tout emporter. M. Briand qui, n’étant pas radical d’origine, ne s’est pas laissé entraîner et enlizer dans ces honteuses pratiques, a vu où elles menaçaient d’aboutir, et il a pris son parti en conséquence. A-t-il désavoué ou laissé péricliter entre ses mains quoi que