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avec franchise, avec vigueur, la musique de M. Pedrell a su l’être non seulement sans bassesse, mais sans trivialité. Mi señora y mi madre : Caliste, au comble de ses vœux, qualifie et remercie on ces termes la Celestina. Nous n’y prenons pas garde, ou plutôt nous l’excusons, nous lui pardonnons de s’exprimer ainsi et l’éclat dont un si bel amour rayonne, efface presque la honte sur le front même de la pourvoyeuse d’amour.

Ne craignons pas de le répéter : dans l’ordre ou dans le genre de l’amour-passion, comme aurait dit Stendhal, nous sommes ici devant une œuvre, un chef-d’œuvre peut-être, comparable à l’unique Tristan. Une admirable fin le résume et le couronne. Conçu le premier sans doute, le dernier acte de la Celestina est à la fois l’origine et le terme de l’ouvrage, le sommet d’où le flot de lave s’est précipité et où il remonte. Là s’unissent à jamais la joie et la douleur, l’amour et la mort, dont les actes précédens ne font que préparer la rencontre et le double triomphe. Mais dans cette préparation, dans ce progrès, dans la suite de l’action (purement intérieure) et dans le développement des deux principaux caractères, que de beautés, et de beautés croissantes ! Dès le début, Caliste, Mélibée sont eux-mêmes : lui, fougueux, chevaleresque, héroïque ; sur ses lèvres, pour la première fois mélodieuses, tout de suite se mêle au goût de l’amour un avant-goût de la mort. En attendant leur premier duo, qui ne viendra qu’au troisième acte, les deux amans, chacun dans une entrevue avec la Celestina, se déclarent et se découvrent à nous. Par traits, par touches successives, leurs deux figures se modèlent et se colorent. Le plus souvent, ils ont mêmes thèmes ou « motifs » musicaux ; ils se les partagent ; l’unité de leur langage, de leur lyrisme, exprime bien celle de leur passion. Et jamais ce lyrisme n’est monotone. Il prend des formes, il suit des mouvemens divers. Tantôt il se répand, ou s’emporte, tantôt il se resserre et se concentre. Tout vit, tout palpite, frémit, dans le duo de la fenêtre, de la fenêtre grillée. Le babil des valets en embuscade, les appels nocturnes et le passage des serenos y servent comme de fond au dialogue du premier plan. Ce dialogue même, avec des éclats et des explosions, a des réticences, ou des retenues, qui ne sont pas moins belles. C’est une longue phrase de Mélibée, intense, ardente et comme lourde d’amour. Surtout c’est, à la fin, le monologue de Caliste resté seul. Ici la musique descend, oui vraiment elle descend, par une série de chutes lentes, jusqu’au plus profond du sentiment et de l’âme. Elle prie, elle supplie le soleil de s’éteindre et les étoiles de paraître afin de hâter l’heure promise.