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VI

Une mesure de ce genre devait avoir de singulières répercussions sur les classes supérieures, car ce n’était pas seulement par en bas que, depuis longtemps déjà, les élémens étrangers s’introduisaient dans la cité. L’histoire de Périclès lui-même est la plus instructive. Avait-il oublié en portant sa loi, son union avec la Milésienne Aspasie, qui n’était pas reconnue par la loi attique ? Toujours est-il que, lorsque les enfans de sa femme répudiée, les seuls légitimes, lui eurent été enlevés, il dut demander au peuple une dérogation à sa propre loi en faveur des fils qu’il avait eus d’Aspasie.

Il faut, en effet, se garder de se représenter les métèques et les esclaves même comme occupant toujours un rang inférieur dans la société capitaliste de la deuxième moitié du Ve siècle.

Jusque-là, le métèque avait été un personnage modeste, parce que la propriété foncière jouait un rôle capital : il ne pouvait s’établir que s’il avait définitivement renoncé au pays natal, et, d’autre part, l’acquisition de terres dans sa patrie d’adoption lui était interdite. Avec le développement des capitaux mobiliers, beaucoup de métèques arrivèrent à une large aisance : nous avons dit que 3 000 possédaient, sous Périclès, le revenu de 200 drachmes nécessaire pour contribuer, comme hoplites, à la garde de la cité. D’aucuns même étaient opulens. Képhalos, venu d’Occident à Athènes vers 435, y réalisa une fortune énorme. Son fils Lysias, le fameux avocat, nous le présente en ces termes :

« Mon père Képhalos vint, sur les instances de Périclès, s’établir dans ce pays, où jamais, durant un séjour de trente ans, il ne nous arriva, pas plus à nous qu’à lui, d’être ni accusateurs, ni accusés. Mais nous y vécûmes, soumis à vos lois, sans faire d’injure à personne ni en recevoir de personne… »

C’est ce Képhalos qui laissa à ses fils la fabrique de boucliers plus tard mise à sac par les Trente.

La situation n’était pas la même pour les esclaves. La condition de ceux qu’on employait dans les mines, dans les fabriques, était fort dure, même à Athènes, et les chances d’amélioration de leur sort nulles pour eux, sauf l’espoir d’évasion. On réservait le travail des mines aux malfaiteurs ou aux barbares de