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pas toujours. Témoin ce personnage des Nuées (423), qui nous fait en ces termes ses confidences :

« Streps. — Que n’a-t-elle d’abord honteusement péri ! la faiseuse de mariages qui me rendit si vain que d’épouser ta mère. J’avais une vie de paysan charmante, toute à l’abandon, envahie par la mousse, oubliée du balai, où foisonnaient les abeilles, les brebis, le marc d’olive. Et voilà que j’épouse la nièce de Mégaclès, fils de Mégaclès, moi paysan, — une demoiselle imposante, façonnière, tout le portrait de la grande Césyra. Le jour de la noce, à table, à côté d’elle, « je sentais les cuves, les claies à « fromage, la laine, » — la richesse ! Elle, c’étaient les parfums, les robes de safran, le gaspillage, la gourmandise !…

« Plus tard, quand ce fils nous fut né, à mon excellente femme et à moi, c’est sur le nom qu’alors on se querella. Elle y voulait de l’hippique, Xanthippe, Chaenippe, Callippide. Moi, du nom de son grand-père, je proposais Phidonide. La querelle dura longtemps : un beau jour nous nous mîmes d’accord, et on l’appela Phidippide. Ah ! ce fils ! la mère le prenait et le câlinait : « Quand tu seras grand, lui disait-elle, et que je te verrai sur « ton char, rentrant dans la ville, comme Mégaclès, dans un manteau de pourpre ! » Et moi, je reprenais : « Ah ! plutôt, quand « tu rentreras les chèvres, en dégringolant les rochers, comme « faisait ton grand-père, avec sa peau de bique ! » Mais de mes sermons il n’avait cure, et entre les mains du Phidippide mes pauvres écus ont pris le galop…[1]. »


Les conséquences directes et indirectes des grands événemens de 480-477 ont compensé par ailleurs, et bien au-delà, cet appauvrissement. Les familles anciennes qui ont su profiter des circonstances nouvelles se sont maintenues, et bien d’autres se sont élevées. Avant tout, la guerre médique même, le prestige que venait d’acquérir l’Etat athénien, fournirent plus d’une occasion favorable à ceux qui étaient encore chargés de sa direction, et la plupart d’entre eux n’étaient pas gens à n’en pas profiter. C’est ainsi que Thémistocle, dont la fortune, lors de son entrée aux affaires, n’était que de quelques talens, finit par en posséder 80 : il est vrai qu’il laissa une réputation détestable. Mais il n’était aucunement besoin de sortir des procédés les plus admis

  1. Pour ce passage d’Aristophane, je me suis servi de la traduction élégante de MM. Mazon et Bodin (Scènes choisies d’Aristophane).