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enfumés, les galanteries et les repues populacières. Il n’en fut pas moins un des premiers peintres de son temps, modelant ses figurines avec amour, faisant vibrer délicatement les ombres (ce qui est son moyen habituel de créer de la lumière) et communiquant parfois une vie fantastique à ses sujets grâce à l’originalité de ses effets lumineux, — comme dans l’Heureux Musicien, de M. van Gelder, dans son Pouilleux, de M. Schloss, et dans son incomparable Festin de paysans (même collection) si vrai qu’il empeste la cervoise, si beau qu’on ne peut s’en détacher… Gonzalès Coques, qui est moins un peintre de genre qu’un portraitiste, ne fréquente que des gens de bon ton. Il représente des familles nobles ou bourgeoises groupées dans de beaux intérieurs ou à la terrasse d’un château, devant les perspectives d’un parc. Ses petites figures, vêtues de noir, se reconnaissent au premier coup d’œil ; entre toutes, celles du Jeune savant et sa sœur, — elle, devant le clavecin, lui, rêvant à sa table garnie de pièces anatomiques, — séduisent par leur naturel parfait (Galerie royale de Cassel). Avec Josse van Craesbeek, — ce boulanger du village de Neerlinter dont Adrien Brouwer fit son compagnon et son élève, — nous quittons les castels des hobereaux anversois et les intérieurs tapissés de cuirs cordouans, pour retourner au cabaret, assister à des rixes ou parfois à quelque scène d’évangile rendue dans un style boschien. On ne connaissait que très peu ce van Craesbeek ; sa facture est assez sommaire, mais il atteint à la force par des éclairages artificiels où il exagère le fantastique des lumières de Brouwer. Il est doué, en outre, d’une vive imagination qui le rapproche de Jérôme Bosch, le visionnaire du XVIe siècle, à qui son Christ devant le Peuple (collection van Gelder) fait penser. Sa Rixe du musée d’Anvers se relève d’une note symbolique assez inattendue. Des paysans en sont venus aux mains devant un cabaret ; un homme est tué et les siens tout éplorés entourent son cadavre. La bataille néanmoins continue, et voici que la mort, sous l’aspect d’une hideuse bête à silhouette humaine, apparaît dans le groupe des rustres jetés les uns sur les autres. Les coups ne cessent de pleuvoir. Rien n’arrête la folie des hommes… Et sur le devant de la scène, un petit squelette ironique sort d’une cruche de bière pour indiquer sans aucun doute que l’ivrognerie engendre la mort. Peinture anti-alcoolique d’autant plus curieuse que la chronique nous représente comme d’intrépides buveurs