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main une transparente écharpe de gaze verdâtre. Et parée pour quelque réception à la Cour, la voici dans un site presque sauvage, entre un rocher et un gros tronc d’arbre. N’allez pas croire que ce décor choque le moins du monde. Il relève cette royale peinture d’une pointe de romantisme, — l’art flamand du XVIIe siècle en est plein, décidément. Rapprochez de la comtesse Clanbrasil le Charles Ier du Louvre et deux ou trois autres portraits féminins de la période anglaise et vous avez la clef, — clef magique, — de tout l’art du portrait en France et en Angleterre pendant cent cinquante ans, et plus peut-être.

Rubens et van Dyck n’épuisent point l’intérêt de l’exposition, mais tout, ou presque tout, pâlit à côté d’eux. Jordaens ne produit qu’une impression inégale ; néanmoins, les deux salles qui lui sont consacrées ne laissent pas d’apporter quelques enseignemens. Ce n’est point le peintre des gaietés populaires, des vieux proverbes flamands, des fêtes de l’Epiphanie qui est mis en valeur (les trois versions exposées du Roi Boit ne valent point celles du musée de Bruxelles), mais, chose assez inattendue, le portraitiste, avec un portrait de jeune femme, — sa fille ? — ardent et de la plus rare richesse de tons (collection Mrs Fleischmann), et le peintre religieux, avec le grand tableau d’autel de l’église de Dixmude, une Adoration des Mages peinte en 1644. Rubens et van Dyck avaient disparu quand Jordaens exécuta cette page considérable ; il était désormais le chef de l’école ; il se montrait digne d’un tel honneur. Son Adoration des Mages sera pour beaucoup une révélation. Certes, van Dyck eût imaginé une Vierge plus gracieuse ; Rubens eût employé des couleurs plus franches ou les eût orchestrées avec plus d’éclat. Mais ni l’un ni l’autre (et bien entendu van Dyck moins encore que son maître) n’auraient à ce point mis toute la Flandre des bonnes gens dans un grand tableau d’apparat. Au-dessus de la Vierge et de saint Joseph se hissent des tâcherons hilares qui sont les descendans authentiques des joyeux compères que Bruegel l’Ancien plaçait dans ses Nativités. Le mage thuriféraire est énorme, ventru, joufflu, solennel comme un syndic de corporation, imposant comme un doyen de brasseurs. Essoufflé de la course qu’il a fournie, il encense néanmoins l’Enfant divin de toute sa vigueur de colosse anversois. Et l’âne et le