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connaissait point. Ce sont trois morceaux d’inexprimable beauté et devant lesquels toute critique se tait. L’impression unanime est que les plus beaux van Dyck ne surpassent point ces chefs-d’œuvre. Hélène Fourment a le visage le plus frais, le plus jeune, le plus éclatant qui soit au monde. C’est la jeune fille, au sourire d’enfant, aux yeux de femme ; c’est la plus jolie des Anversoises, — l’infant Ferdinand prit la peine de le remarquer dans une de ses lettres, — et c’est l’une des plus jolies créatures que les mortels aient contemplées. Gevartius, le dernier humaniste flamand, autre intime de Rubens, n’exagérait point en évoquant dans son épithalame le souvenir d’Hélène de Troie… Et me trompé-je en m’imaginant que l’un des plus grands portraitistes de la femme moderne, Albert Besnard, a regardé longuement cette adorable personne blonde et rose,


Dont le nom est doré comme un flot de moisson ?


Le cardinal infant Ferdinand d’Autriche, le successeur de l’archiduchesse Isabelle, cuirassé, juvénile, le visage clair encadré de cheveux d’or, n’est pas moins éclatant (un peu trop même, à croire qu’il a pu être un instant livré aux restaurateurs allemands). Le jeune et fringant vainqueur de Calloo n’avait du prélat et de l’Espagnol que sa répugnance pour les beuveries flamandes : « Ils ont tous été ivres, écrivait-il à son frère après la kermesse d’Anvers de 1639 ; sans cela, il n’y a point de fête ici… »

Le souvenir de la Joyeuse Entrée du cardinal infant à Anvers et de sa victoire de Calloo est rappelé par de belles esquisses de Rubens (musée d’Anvers) et par les fameux portraits d’Albert et d’Isabelle du musée de Bruxelles. Cette Joyeuse Entrée coûta un an de travail sans relâche au maître. Il livra les plans et dessins des arcs de triomphe érigés à cette occasion, discuta ses projets avec Rockox et Gevartius, mais supporta seul le fardeau de l’exécution. « Je suis tellement accablé de besogne, écrivait-il en décembre 1634 à son ami Peiresc, que je n’ai pas le temps d’écrire, ni même de vivre. » Il vivait pourtant, et comme le dieu de la peinture. N’est-ce pas vers ce moment qu’il peignit son Martyre de saint Liévin, sa Marche au Calvaire et cette Madone de saint Georges qui donne de son génie une idée si exquise, et ces portraits d’Albert et d’Isabelle, brossés en quelques heures pour l’un des arcs de la Joyeuse Entrée et