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effets monumentaux qu’il devait obtenir, et n’était-il pas toujours et avant tout le génie incarné du décor ? Ceci entendu, ses esquisses reprennent leur rang d’esquisses. Qui ne sait d’ailleurs avec quel éclat elles chantent la jeunesse perpétuelle du premier des coloristes ? Vers la clarté ! Telle est l’impression qu’elles suggèrent irrésistiblement, surtout quand on leur restitue leur ordre chronologique.

La petite Fuite en Egypte du musée de Cassel, exécutée en 1614 (une miniature très précieuse plutôt qu’une esquisse), est l’exemple le plus frappant des études faites par Rubens à la suite des clair-obscuristes de l’école du Caravage, des Carrache et d’Elsheimer. Les rayons de la lune éclairent vivement la vierge et le grand manteau ocré de saint Joseph ; le reste est plongé dans les ténèbres. En 1616, des préoccupations identiques apparaissent dans la petite Pietà prêtée par le musée de Berlin. Même opacité du fond noir, et cette fois, dramatisation de la scène par la lumière artificielle d’un flambeau. C’est le Rubens romantique ; nous le retrouverons. Admirons en attendant ce petit Christ étendu, figurine peinte à pleine pâte, d’une étonnant ampleur avec des ombres bleues courant dans le modelé satiné des chairs, le plus beau Christ peut-être que Rubens ait peint. Puis savourons les esquisses du musée de Gotha qui rappellent la gigantesque décoration de l’église des Jésuites d’Anvers exécutée en moins d’un an, celles des retables de la même église (Miracles de saint Ignace et Prédication de saint François-Xavier du musée impérial de Vienne), puis encore des projets pour le plafond de White Hall (baron Oppenheim), les belles figures de saint Pierre et saint Paul à la Fra Bartholomeo (collection Philippson) et enfin les ravissantes peintures mythologiques (collection Errera) faites, dirait-on, avec les tonalités irisées des plus merveilleux coquillages et où Rubens, à la fin de sa carrière, mais plus jeune que jamais, retrace, en vue de la décoration du château de la Parada, les plus belles histoires des Métamorphoses d’Ovide.

Dans cette même salle des esquisses, est exposé le tableau de la succession de Léopold II, les Miracles de saint Benoît, que le maître ne termina point et que ses héritiers offrirent au peintre Crayer. C’est une œuvre pleine de trouvailles attirantes, mais à laquelle Rubens, en l’achevant, aurait sans doute donné plus d’unité. Saint Benoît paraît au haut des marches de l’abbaye du