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carrosses, les chevaux, la vaisselle. C’est une « garden party » monstre retracée par un chroniqueur minutieux. La Mère Flandre gaiement se réveille. Les plantureuses agapes bourguignonnes vont revivre. Un éclat nouveau va parer les cortèges de l’Ommegang. Les joyeux rois de l’Epiphanie vont étouffer de rire dans les festins jordaenesques. Rubens brossera « le quadrille fou » de sa Kermesse. Et voilà que la Flandre est soudain saisie d’une activité prodigieuse. Les églises se relèvent et se multiplient. Les grandes industries nationales, — la tapisserie, la dentelle, — connaissent une splendeur nouvelle…

Il est incontestable que les archiducs ont puissamment agi sur l’art flamand par leur goût, par leurs édits, par leurs deniers. Ils décidèrent Rubens à rester à Anvers, bien qu’il eût formellement promis au secrétaire de Vincent de Gonzague de revenir au service du duc : « la volonté de ce dernier devant toujours et en tout être suivie par lui comme une loi inviolable. » Et c’est autant par affection et par reconnaissance pour l’infante Isabelle que par amour pour sa « chère Flandre » que Rubens dans la suite accepta ces nombreuses missions diplomatiques d’où résultèrent pour lui tant de déboires. Il est certain, en outre, que l’ardente mysticité de l’archiduc Albert, tout entière vouée à la restauration du catholicisme septentrional, fut également l’un des facteurs décisifs de la renaissance picturale des Flandres. Héraut de la Contre-Réforme, Albert mit l’art au service de son apostolat. Et ses meilleurs serviteurs, les Jésuites, chez qui son zèle se ramifiait sans arrêt, l’imitèrent Pour la dernière fois, on vit un grand ordre religieux utiliser et seconder l’effort d’une grande génération artistique. Spectacle émouvant entre tous que celui de ce prince idéaliste, consolidant la croyance traditionnelle avec l’aide de religieux et d’artistes en avance sur leur temps ! Le culte se vêtit d’une pompe inusitée, parce qu’il fallait retenir l’âme vacillante des foules et parce que la beauté classique du siècle précédent s’ornait de tout le luxe du style baroque. L’élite s’enthousiasma pour ces Jésuites qui restituaient une telle grandeur à la religion en comprenant si bien leur siècle. Rubens, van Dyck, Daniel Seghers s’affilièrent à la Société de Jésus. Jordaens, il est vrai, devint protestant ; mais il acceptait des commandes pour les églises. L’art trouva son meilleur soutien dans le néo-catholicisme, et si l’archiduc Albert est le grand ouvrier politique de ce mouvement de la