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Bernardin de Saint-Pierre a soin de placer l’école dans un lieu champêtre. À défaut des palmiers et des bengalis qui furent les instituteurs de Paul et Virginie, on se contentera de cerisiers et de rossignols. Au lieu de cloches pour annoncer les divers exercices, on emploiera le son des flûtes, des hautbois et des musettes. Tout ce qu’apprendront les enfans sera mis en vers et en musique : « Qui pourrait, dit-il, oublier les suintes lois de la morale, si elles étaient mises en musique et en vers aussi agréables que ceux du Devin du Village. » L’essentiel est que les leçons se prennent aussi souvent que possible en plein air, au milieu d’une verte prairie, à l’ombre de quelque arbre séculaire, afin que les effluves qui se dégagent de l’âme de la mère nature puissent pénétrer de toutes parts dans ces jeunes cœurs comme dans des vases découverts. Point de bancs poudreux, point de pupitres noircis, point de plumes, d’écritoires, point de tristes murailles ; mais des marguerites blanches, des vergers, des arbres pliant sous le poids de leurs fruits. Le moyen de penser à mal quand on a sur la tête le ciel bleu, sous les yeux des fleurs et des ruisseaux !… Et puis, quand l’enfant a grandi sous ces sereines et douces influences, quand il est devenu un jeune homme, servez-vous, pour allumer en lui une sainte et noble ambition, servez-vous du sentiment dont la nature a déposé le germe dans les âmes, sentiment qui l’anime elle-même ; feu divin qui est en elle le principe de la vie, l’amour, ce maître tout-puissant du ciel et de la terre.

C’est l’amour qui a inventé les arts, les métiers, les sciences. C’est par amour que Paul s’était perfectionné dans l’agriculture, qu’il avait appris l’art de disposer avec agrément le terrain le plus irrégulier, c’est par amour que Paul apprend à lire et à écrire, pour pouvoir entretenir une correspondance avec Virginie ; et qu’il voulut s’instruire dans la géographie, pour se faire une idée du pays où elle débarquerait, et toujours par amour qu’il se mit à étudier l’histoire pour connaître les mœurs de la société dans laquelle elle allait vivre. « Car la nature, dit Bernardin, ayant fait de l’amour le lien de tous les êtres, l’a rendu le premier mobile de nos sociétés et l’instigateur de nos lumières et de nos plaisirs. » « Que chaque Paul ait donc sa Virginie et que le désir de lui plaire soit l’aiguillon qui le pousse aux grandes choses. Que ne fait pas un Paul pour obtenir un regard favorable des beaux yeux bleus de sa Virginie ? Et voilà pourquoi,