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Mais si sévère que soit Bernardin de Saint-Pierre pour l’humanité, il entre de la tendresse dans sa sévérité. Il condamne l’homme pour ce qu’il est, cependant il le juge capable d’une régénération prompte et complète. Il croit à la toute-puissance de l’éducation. Qu’on lui donne le genre humain à élever ! Et il répond de sa vertu et de sa félicité. Comme tous les esprits utopiques, Bernardin ne s’embarrasse guère des difficultés, son imagination se joue avec elles et les écarte sans peine de son chemin. Il a la foi, il a cette foi enthousiaste qu’on avait au XVIIIe siècle et que nous n’avons plus, parce que les expériences qu’a faites la société depuis 89 lui ont appris que tout est compliqué, que tout est périlleux et que le fleuve du progrès est semé d’écueils et de bas-fonds où les navires les mieux gréés peuvent faire naufrage. Il a la foi d’un utopiste, et, pour sauver l’humanité, il propose sa panacée comme un remède infaillible dont les effets ne se feront pas attendre. La nature, c’est l’ordre, l’harmonie. L’humanité, c’est le désordre. Pour rétablir l’ordre dans la société humaine, il faut faire rentrer l’homme dans l’ordre naturel, par l’effet irrésistible d’une éducation conforme à la nature. Faites élever l’homme par la nature, et elle mettra dans son cœur et dans son esprit ces divines harmonies dont elle a le secret. Faites de la nature l’institutrice de l’homme, et vous aurez ajouté une note, un instrument de plus au concert qu’il troublait par ses dissonances. Bernardin écrivit Paul et Virginie pour mettre en action sa théorie sur l’éducation de l’homme par la nature, telle qu’il l’avait exposée dans sa XIVe Étude.

Tous les penchans de l’homme sont bons par eux-mêmes ; mais ils peuvent devenir mauvais par la révolte de l’égoïsme contre l’intérêt de tous. Apprenez à l’homme à se considérer comme la fraction d’un tout, comme un anneau dans une chaîne ; en un mot, donnez-lui la notion et le sentiment de l’ordre, et l’homme sera bon. Or ce sentiment de l’ordre, c’est dans une communion incessante avec la nature qu’il le puisera. Qu’un enfant, comme Paul, aime et sente la nature, son innocence est à ce prix. Et pour cela, puisqu’il s’agit de lui apprendre à aimer, bannissez de l’école où se passent ses jeunes années les instrumens de châtiment, les épouvantails. Le fouet ! la férule ! Voilà ce que hait tout particulièrement Bernardin. Si l’éducation première a été affranchie dans ce siècle de ces barbaries d’autrefois, que les enfans en bénissent Bernardin de Saint