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besoins, mais de procurer des plaisirs à notre imagination et à nos sens.

« La nature, dit-il par exemple, a songé à notre plaisir en ne donnant pas la couleur bleue aux fleurs ou aux fruits des arbres élevés, car alors, ils se seraient confondus avec le ciel ; mais aux fleurs des herbes, telles que les bleuets, les scabieuses, les violettes, les hépatiques, les riz, etc., » — parce que leur couleur bleue forme un heureux contraste avec la verdure. — « Au contraire, ajoute-t-il, la couleur de terre est fort commune dans les fruits des arbres élevés, tels que ceux des châtaigniers, des noyers, des cocotiers, des pins. » Bernardin oublie ici que ce que nous voyons des châtaignes et des noix, c’est leur coque qui est verte. Mais qu’importe ! Sur d’autres points, il nous est plus facile d’entrer dans ses riantes imaginations ; chimères ou non, nous aimons à nous tromper avec lui. Il nous plaît de croire, avec lui, que la nature n’a accordé aucun chant agréable aux oiseaux de marine et de rivière, parce qu’il eût été étouffé par le bruit des eaux et que l’oreille humaine n’en eût pu jouir.

Avec quel charme ne nous peint-il pas les champignons ! « La nature, dit-il, a dispersé les champignons dans la plupart des lieux ombragés, où ils forment souvent les contrastes les plus extraordinaires. Il y en a qui viennent sur les rochers nus, où ils présentent une forêt de petits filamens, dont chacun est surmonté de son chapiteau. Il y en a qui croissent sur les matières les plus abjectes, avec les formes les plus graves : tel celui qui vient sur le crottin de cheval, et qui ressemble à un chapiteau romain, dont il porte le nom. D’autres ont des convenances d’agrément : tel celui qui croit au pied de l’aune, sous la forme d’un pétoncle. Quelle est la nymphe qui a placé un coquillage au pied de l’arbre des fleuves ?… Le ciel a beau verser des pluies abondantes, les champignons, à couvert sous leurs parapluies, n’en reçoivent pas une goutte… les champignons semblables à ces petits savoyards qui sont placés comme des bornes aux portes des hôtels et établissent leur subsistance sur la surabondance d’autrui ; ils naissent à l’ombre des puissances des forêts, et vivent du superflu de leurs magnifiques banquets. »

Ailleurs, c’est le lierre qui prend une voix et nous prêche l’amitié généreuse : « Le lierre qui ne s’attache qu’aux malheureux, et qui, lorsque la mort même a frappé son protecteur, le