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A propos du plébiscite du mois de juillet 1793, pour la ratification de la Constitution ultra-démocratique de l’an I, Taine avait insisté sur le peu de sincérité du vote, attesté par le faible nombre des votans et par l’infime minorité des opposans. Il se trouva en effet 1 801 918 voix pour, et seulement 11 610 contre, sans compter 424 cantons dont on n’a jamais connu ou fait connaître le résultat. Ces chiffres sont ceux que donne M. Aulard lui-même. Ils justifient l’opinion exprimée par Taine, car, sans savoir au juste le nombre d’électeurs que pouvaient compter normalement les assemblées primaires, on l’évalue au moins au quadruple du nombre de ceux qui ont voté. Les opposans n’ont pas osé se montrer. Sur les 12 000 environ que la France tout entière a pu à peine fournir, il s’en trouve 9 965 pour le seul Finistère. On votait à haute voix, le plus souvent par acclamation, ce qui était merveilleusement propre à faire l’unanimité. Les opposans comprenaient que le silence est d’or. Si le scrutin avait été libre et secret, le résultat eût été différent. Dans l’assemblée primaire du Donjon (Allier), le vote ayant eu lieu au bulletin fermé, on trouva dans l’urne 122 oui, 22 non, 9 ni oui ni non. Ce n’est pas la proportion habituelle. Voyons le département de la Vienne qui vient d’être l’objet d’un travail tout récent et particulièrement complet. On y constate en tout 17 opposans. Est-ce conforme à ce qu’aurait répondu l’opinion régulièrement consultée ? Les plus fervens « patriotes » n’osent s’en flatter. La lettre du président et du secrétaire rendant compte à la Convention de l’assemblée électorale de Mirebeau, après avoir complaisamment dépeint l’enthousiasme des assistans, ajoute mélancoliquement : Cet enthousiasme « était-il bien sincère en tous ? C’est ce que nous ne pouvons assurer. » Voilà un aveu dépouillé d’artifice, que Taine n’aurait pas manqué de recueillir, et qui, sorti de pareille source, vient assurément à l’appui de sa thèse. Du reste, M. Aulard lui-même, à travers toute sa sévérité, laisse échapper un mot qui atteste que Taine n’étale pas toujours des idées préconçues sur des documens fantaisistes. Il veut bien admettre que « Taine analyse très finement l’état d’esprit révolutionnaire du paysan. » (Taine historien, p. 117.)

Mais passons. Au fond, le grand grief de M. Aulard contre Taine, c’est un grief d’ordre politique. La Révolution est encore trop près de nous, nous vivons encore trop dans l’atmosphère de lutte où elle s’est développée, pour que tout le monde soit