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individus louches qui rôdent aux portes des gares. Heureusement cette voyageuse connaît l’insigne de notre Œuvre (les surveillantes portent sur l’épaule un ruban jaune et rouge), elle a pu lire pendant le trajet les affiches apposées dans les wagons de 3e classe par la Compagnie de l’Est, ou, pendant l’arrêt, à la station douanière, Porrentruy, Modane, etc., celles qui sont placardées dans les salles de visite. Notre agente se met à sa disposition, elle dégage les bagages de l’arrivante et, après les avoir fait charger sur une voiture, la fera conduire à l’adresse où elle est attendue. Voilà un voyage heureusement terminé. Sans doute ce n’est qu’une intervention très banale, plus féconde cependant qu’on pourrait le penser. N’est-ce pas de cet embarras d’une première arrivée à Paris que profitent toujours les hommes en quête d’une proie ou d’une bonne fortune, premier pas pour leur victime dans la prostitution ? Pour preuve, je n’en veux que cette aventure d’une fille qui débarquait un soir d’août dernier à une gare de la rive droite, et à laquelle un homme d’équipe avait sans doute trouvé économique de proposer de venir passer la nuit chez lui. Le lendemain, bien entendu, il l’aurait conduite où elle devait aller. Le lendemain ! Sommes-nous sûrs qu’elle aurait achevé son voyage ? Il valait mieux, sans doute, que notre agente la prît sous sa garde.

« Ce n’est pas seulement à l’arrivée que pareille intervention est nécessaire. Elle l’est quelquefois au départ. Un voyageur de commerce très honorable, père de famille, a remarqué dans un compartiment du train pour Amiens une jeune fille, seule avec deux messieurs, et qui semble avoir pleuré. Lui aussi connaît l’insigne jaune et rouge, et il se met à la recherche de notre agonie en service à l’arrivée du train d’Anvers. Notre représentante s’empresse et invite la jeune voyageuse à descendre. Ses deux compagnons s’indignent et essayent, — sans succès au surplus, — d’ameuter les autres voyageurs contre notre agente. Mais la jeune fille est descendue du compartiment, elle raconte que ces deux hommes l’accablent de prévenances et de propositions et qu’elle ne désirait qu’une chose : changer de wagon. « Seule, ajoute-t-elle, je n’osais pas. » Notre agente la confie à une famille qui part pour la même direction, et la recommande en outre au chef de train, cependant que de toutes les portières se croisent des questions et des réponses sur le but de l’Œuvre des gares, et aussi du même