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allaient en s’éteignant, alors que les intérêts communs devenaient, au contraire, de plus en plus distincts. Après la guerre russo-japonaise et le traité de Portsmouth qui en a marqué le terme, personne n’était tout à fait certain que ce terme fût effectivement atteint. Les Russes avaient de la peine à accepter leur défaite comme définitive : leur patriotisme, ou du moins celui d’un grand nombre d’entre eux, restait frémissant. D’autre part, l’opinion japonaise était surexcitée ; elle se prononçait avec violence contre l’abandon de toute demande d’indemnité de guerre ; elle accusait le gouvernement de n’avoir pas tiré des circonstances tout le parti possible ; elle provoquait à Tokio des mouvemens populaires qui ont amené l’incendie d’un ministère. Peu à peu le calme a succédé à la bourrasque. Les Russes se sont aperçus qu’ils n’avaient perdu, en somme, que ce qui ne leur appartenait pas, et qu’ils n’avaient cédé ni un pouce de leur territoire, ni un rouble de leur fortune : il n’y avait rien d’irréparable entre leur vainqueur et eux. Et quant au gouvernement japonais, on a pu bientôt se rendre compte de ce que sa modération avait eu de prévoyant et de politique.

Certes, dans l’état où étaient alors ses finances, une indemnité de guerre n’aurait pas été pour lui un avantage négligeable ; mais l’avantage n’aurait été que pour le présent, il valait mieux songer à l’avenir. Un conflit permanent entre les deux pays aurait été pour l’un et pour l’autre une cause d’affaiblissement, et un prétexte donné à d’autres de se faufiler entre eux pour y jouer le rôle de tertius gaudens, de tiers bien partagé. Ne valait-il pas mieux s’entendre pour recueillir de part et d’autre le bénéfice de l’immense effort qu’on avait fait, et s’en assurer le maximum de profit ? Ces réflexions devaient naturellement se présenter aux esprits à Saint-Pétersbourg et à Tokio ; il a fallu toutefois quelque temps pour qu’elles s’en emparassent tout à fait. On a dit que la nature ne faisait pas de sauts ; l’esprit humain n’en fait pas non plus ; il procède par transitions parfois assez lentes. Pendant les deux années qui ont suivi le traité de Portsmouth, la question de savoir si la guerre ne recommencerait pas à bref délai est restée menaçante. Une reprise des hostilités aurait été, à coup sûr, une folie, mais les folies de ce genre ne sont pas sans exemple. On affectait d’y croire dans certains pays, notamment en Allemagne, et on a continué de le faire jusqu’au dernier moment, c’est-à-dire jusqu’au 4 juillet dernier. La lecture des journaux d’outre-Rhin laissait une impression très pessimiste. Heureusement, d’autres symptômes, encore plus significatifs, la combattaient.