Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 58.djvu/956

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tombé M. Jaurès ; il a expliqué sa conduite, que tout homme avisé et conscient de sa responsabilité aurait tenue à sa place. N’insistons pas.

Donc, la suite a été renvoyée au mois d’octobre. On avait entendu tous les témoins, sauf un, et il est dans l’Amérique du Sud : c’est M. Clemenceau. Son rôle dans l’affaire commence d’ailleurs à se dégager, soit des interviews auxquelles il s’est prêté, soit des conversations qui ont été tenues, à Paris même, par des gens bien renseignés, soit encore, pour ceux qui entendent entre les mots, par les dépositions déjà faites devant la commission d’enquête. Aussi n’attendons-nous plus de sa part des révélations bien sensationnelles. Nous craignons seulement pour lui qu’il ne soit aussi coupable que M. Lépine : il lui est arrivé, dans sa vie, de se tirer de cas infiniment plus graves.


L’abondance des sujets dont nous avons dû entretenir nos lecteurs nous a empêché de leur parler jusqu’ici d’un événement plus important sans doute que tous les autres, mais qui ne semblait pas nous toucher d’une manière aussi immédiate. Le 4 juillet, a été signé à Saint-Pétersbourg, par M. Isvolski et le baron Motono, un arrangement, convention ou traité, qui met fin aux querelles de la Russie et du Japon en Extrême-Orient et établit entre eux un accord étroit. La nouvelle de cet accord, qui n’avait pourtant rien d’imprévu, a produit en Europe, en Asie et en Amérique une vive impression, et, avant même qu’on connût les termes exacts de la convention, des torrens d’encre ont coulé en vue d’en interpréter le sens et d’en mesurer les conséquences. Il est difficile d’en mesurer les conséquences, mais le sens en est très clair. L’accord a pour but, non seulement de rejeter dans le passé tous les sujets de conflits qui ont mis aux prises les deux pays, soit politiquement, soit militairement, et d’y substituer une sorte d’entente cordiale, mais encore de confirmer le statu quo actuel considéré comme favorable à la Russie et au Japon, et qui ne saurait être modifié sans que leurs intérêts en souffrissent. D’autres puissances y gagneraient peut-être, la Russie et le Japon y perdraient certainement. Telles sont, à les prendre dans leur ensemble, les intentions qui ont guidé les deux négociateurs.

Il est possible, et cela même est probable, que certaines velléités de la part d’autres puissances, qui se sont manifestées par des démarches peu opportunes, aient précipité le dénouement ; mais, depuis trois ans déjà, la Russie et le Japon y marchaient d’un pas sûr, et il aurait fallu de grandes maladresses pour réchauffer des passions qui