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retraite pour cause de maladie. Personne n’a mis en lui son « espoir, » et jamais il n’a eu l’occasion de « se faire estimer dans la guerre. » Sa vie, loin d’avoir été très riche en « succès, » a été tout à fait « indigente » à ce point de vue. Ce prétendu « grand conducteur d’armée » n’a pas même été un homme heureux, « mais bien un homme déçu et aigri, qui, jusque dans ses heures les plus brillantes, a dû se contenter de l’apparence du pouvoir. » Et ainsi, prenant prétexte de chacune des phrases de la notice, M. Harden, par une nombreuse série de petits traits acérés, dégonfle l’image pompeuse du mort, telle que tous les journaux ont cru devoir l’offrir à la respectueuse crédulité de leurs lecteurs. Tout de suite il réduit son personnage aux proportions d’un pauvre homme vaniteux et médiocre, trop insignifiant pour valoir même d’être détesté. Puis, lorsqu’il a achevé de détruire la légende, à son tour il entreprend d’évoquer devant nous la véritable carrière du défunt maréchal :


Alfred Waldersce amis beaucoup de zèle, — trop de zèle, — à préparer sa gloire. Qu’il se soit uni en mariage à la veuve d’un prince de Holstein, de la maison d’Augustenbourg, cela était habile. Par-là il accroissait son pouvoir personnel, devenait indépendant au point de vue financier, et se conquérait le bonheur de pouvoir saluer une impératrice comme la nièce de sa femme. Et la tactique de sa vie lui a valu encore un autre succès, à savoir, que le vieux maréchal Moltke, qui rarement permettait à quelqu’un de l’approcher, consentît volontiers à le voir, et le choisît même pour l’héritier de son trône. Mais la fatalité de Waldersee a toujours été qu’il fût incapable d’attendre, et sans cesse essayât de réchauffer artificiellement ses désirs en bourgeon, afin de leur permettre de mûrir plus vite. Il a gravi, tour à tour, plusieurs pentes abruptes ; mais toujours cette fatalité l’a empêché de se maintenir sur les hauteurs où il s’était hissé. On comprend d’ailleurs sans peine que la longue et somnolente paix lui ait paru trop longue, et que le successeur de Moltke ait aspiré à une guerre où il pût se montrer digne de ce grand héritage. Mais un homme plus adroit aurait attendu l’instant favorable, et ne se serait point figuré qu’il lui fût possible d’amener par force une chance de guerre, contre le gré de Bismarck. Son ambition l’aveugla. L’ancien temps approchait doucement de sa fin. D’un jour à l’autre, on pouvait apprendre la mort de l’Empereur ; le prince héritier était atteint d’une maladie incurable ; bientôt, selon toute probabilité, le trône appartiendrait au jeune prince Guillaume, mari d’une princesse d’Augustenbourg. L’entreprise la plus importante était évidemment de séparer le futur empereur du chancelier de son grand-père ; et, dans le premier stade de cette campagne, il faut convenir que le comte Waldersee a su se montrer excellent stratégiste. Le prince Guillaume passait pour un ardent soldat, pour un jeune seigneur qui ne se résignerait pas à patienter longtemps avant d’étendre la main vers le laurier de la