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renseignemens très curieux fournis naguère par F. du Breil de Marzan, il affectait de considérer la négligence comme une beauté, invoquant des exemples illustres ; et j’avoue que celui de Lamartine n’était pas mal choisi. « Cette tendance se trouvait puissamment favorisée par la vogue du moment qui était au genre intime, pour lequel nous professions tous un goût presque ridicule. Ainsi dans les premiers temps du petit cénacle poétique du Val de l’Arguenon où Maurice profitait, en l’accentuant à sa manière, de l’heureuse veine des Consolations, pendant que La Morvonnais y importait celle des Lakistes et de Wordsworth, on s’imaginait très aisément avoir fait preuve de génie quand on avait rimé les détails les plus prosaïques de la domesticité et du ménage, et surtout introduit dans un vers le nom technique et vulgaire de la chose ; trop souvent au préjudice des véritables qualités poétiques qui l’eussent rendu digne de cet honneur… Les choses en étaient venues au point qu’à nos yeux d’alors le nec plus ultra du genre était de produire une illusion telle que les seules oreilles exercées fussent en état de distinguer à li lecture les vers de la prose. » Quand on fait ainsi de la prose en vers, le plus simple serait de la faire en prose. Et ce fut l’avis de Guérin qui ne rima jamais que par manière de divertissement. Mais tous ne se sont pas résignés de si bonne grâce. Et ce pourrait être le secret qui expliquerait le programme de certaines écoles poétiques. Ceux qui ont été d’avis qu’il convenait de rapprocher le langage des dieux du sermo pedestris, n’étaient pas eux-mêmes très richement pourvus des dons spéciaux de l’expression poétique, rythme, cadence, harmonie, image. L’exemple de Sainte-Beuve le prouve assez bien. Beaucoup plus que Sainte-Beuve, Guérin était poète par le sentiment : il lui manquait d’être doué pour écrire en vers.

C’est bien pourquoi il n’a pas essayé de versifier ses deux meilleures pièces, le Centaure et la Bacchante, auxquelles il ne manque précisément pour être d’authentiques chefs-d’œuvre que d’être écrites en vers. Ce sont des poèmes en prose. Le genre a en soi je ne sais quoi d’inquiétant et de déconcertant. L’auteur lui-même des Martyrs, avec tout son génie, n’a pas suppléé à ce défaut. Chômer faisait très bien le vers : c’est la différence. De tel poème de Chénier, supprimez le vers, que reste-t-il ? L’esquisse en prose. Cela est encore très appréciable, mais enfin, c’est le poème qui nous donne complète satisfaction. La partie du livre de M. Lefranc consacrée aux poèmes en prose de Guérin est, à mon gré, la plus intéressante et sûrement la plus neuve. M. Lefranc a découvert l’original dont Guérin s’est probablement inspiré dans ses deux