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est là ; on fait appel à des navires étrangers ; tous les moyens, semble-t-il, sont à portée. Le soir même, on soulève le Farfadet de deux mètres : mais les élingues cassent. Le lendemain, vers midi, on arrive à mettre l’arrière presque à fleur d’eau, sous une mince couche liquide de 50 centimètres, au travers de laquelle on renouvelle la provision d’air des naufragés. On les entend, ils rient déjà, parlent aux leurs. Cela dure cinq minutes : une attache manque, ils retombent au fond. Le 8, on traîne le malheureux bateau de deux cents mètres, puis la remorque se rompt. A minuit, une voix parlait encore dans ce tombeau de fer, après 60 heures d’agonie. C’est le 15 seulement qu’on put rentrer au port, ouvrir, désinfecter A l’avant, les huit marins échappés au premier choc, bouchant les fissures avec leurs habits, se défendant pied à pied contre l’infiltration, étaient restés unis, rapprochés jusqu’au bout dans une lutte têtue pour une invraisemblable espérance. L’un d’entre eux seulement, presque un enfant, se réfugia devant la mort dans les bras d’un plus courageux : geste suprême venant du plus profond de l’âme humaine !

La fatalité, pour la première fois, avait frappé nos flottilles : elle revenait à la charge le 16 octobre 1906, à Bizerte encore, sur le Lutin. Celui-ci, convoyé par un vapeur, s’exerçait en rade. Disparu à midi avec quatorze hommes et deux officiers, sous les yeux du convoyeur, il ne fut retrouvé, en draguant sur l’emplacement marqué, que 3 heures et demie plus tard, par 35 mètres de fond. Il fallut attendre le surlendemain et utiliser l’aide des navires de guerre anglais, pour atteindre l’épave et la reconnaître. Le 22 octobre, on parvenait à la suspendre sous un dock flottant qui entrait au port le 26, et le 29, on ouvrait enfin le sous-marin mis à sec dans un bassin. Les hommes avaient dû mourir en quelques instans, dès le début, par l’envahissement de la mer ou la compression brusque de l’air restant. On trouva l’une des prises d’eau mal fermée : un caillou gros comme une noix, introduit dans l’orifice par quelque échouement et inaperçu grâce à des visites négligentes, avait coincé la vanne. La caisse à eau correspondante, ainsi restée en communication avec la pression du dehors, s’était crevée à l’intérieur du sous-marin, créant une voie d’eau à l’arrière. On put lire sur le carnet du sous-officier « patron » les derniers ordres : Chassez 100, 200, 500… Le bateau s’était défendu. On l’avait vu