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Romagne, où les remparts de Faenza auraient été édifiés sur les plans du fameux Frère Elie, attestaient encore sa volonté et pouvaient inspirer ses partisans ou ses ennemis. C’est donc, de tous côtés, l’influence du Nord encouragée à la fois par l’humble visionnaire et l’orgueilleux despote.

Sur le terrain des Arts, en effet, malgré l’hostilité radicale que semble établir entre François et Frédéric la diversité des tempéramens et des intelligences, il se trouve que ces deux adversaires, l’idéaliste le plus candide et le réaliste le plus sceptique que le moyen âge ait connus, vont devenir, en commun, les promoteurs les plus actifs et les plus décisifs du grand mouvement de civilisation morale et savante, religieuse et philosophique, imaginative et intellectuelle d’où vont sortir le monde de la Renaissance et de la Réforme et celui des temps modernes. Chez les deux, mêmes origines internationales, franco-italienne et franco-tudesque, même éducation par la poésie chevaleresque et la poésie provençale, même sensibilité passionnée, tournant chez l’un à l’extase mystique et chez l’autre au dilettantisme voluptueux, et surtout, même admiration et même amour, très divers dans les conséquences et dans les expressions, mais aussi forts et sincères chez les deux, pour toute la nature vivante et tous les êtres, animés ou non, qui la peuplent et l’embellissent. Que cet amour pour la Vérité, pour la Beauté, pour l’Humanité se traduise chez l’un par une foi absolue dans la parole du Christ, chez l’autre par un doute incessant de curiosité scientifique ; chez l’un par une indicible reconnaissance pour le créateur de ces merveilles, chez l’autre par l’appétit de jouir et de posséder, chez l’un par un pieux débordement de tendresse et de charité, chez l’autre par une pratique réfléchie de tolérance et de générosité, il n’en suivra pas moins qu’ils se trouvent associés par cet amour pour donner, par leurs actes, leurs paroles, leurs légendes, à l’imagination et à l’intelligence italienne, la double impulsion dont les effets se prolongeront sans interruption jusqu’à nos jours. Quelle est l’âme italienne où ne survivent encore, se combattant parfois, s’associant souvent, se comprenant toujours, quelques restes, à la fois, de l’idéalisme franciscain et du positivisme impérial ?


GEORGES LAFENESTRE.