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lorsqu’il s’enfuit dans les bois et qu’il y entonne l’hymne de délivrance, c’est en français qu’il chante, francigena lingua, qu’il attire vers lui des brigands qui le dépouillent et le jettent, nu, dans un fossé plein de neige. Quelque temps après, lorsqu’il hésite, d’abord, à monter dans une salle où boivent et jouent d’anciens amis, pour y quêter de quoi alimenter les lampes d’un sanctuaire, lorsque, vainqueur enfin de tout respect humain, il se décide à se présenter, c’est en français qu’il les implore. « Chaque fois, nous dit Celano, qu’il était rempli du Saint-Esprit, c’était un jaillissement de paroles ardentes en langue française, ardentia verba foris eructans gallice loquebatur. » Et Frère Léon ajoute : « Souvent, lorsqu’il sentait en lui bouillonner une très douce mélodie, il lançait un chant français, et par la grâce du murmure divin que percevaient ses oreilles, éclatait en gaîté française, gallicum irrumpebat in jubilum. Quelquefois même, il ramassait à terre quelque morceau de bois et, le tenant haut du bras gauche, à la façon d’une corde d’arc, tirait dessus une autre branche, comme sur une viole et, faisant tours ou gestes de circonstance, chantait en français le Seigneur Jésus, gallice cantabat. »

Peut-on s’étonner alors que, dès les premiers jours de sa conversion, lorsque pour s’endurcir aux travaux manuels, à la souffrance du pauvre, il réparait, de ses mains, les vieux sanctuaires en ruines, il y ait marqué déjà son goût pour ce décor ogival dont il avait pu rencontrer tant d’exemples aux environs avant d’en voir de plus nombreux en Provence et en Palestine ! « D’où vient, dit M. Thode, que ces trois églises (Saint-Damien, Saint-Pierre, Sainte-Marie de la Portiuncule) nous fassent voir précisément des particularités architectoniques qui n’ont aucun rapport avec l’art italien précédent, et se rattachent au style français ? » Or, à mesure qu’il avance en âge, l’homme de Dieu se confirme dans son admiration pour la simplicité, claire et grave, de l’art cistercien. L’ancienne chapelle que François s’est bâtie de ses mains sur le mont Alvernia (le mont des stigmates) nous offre encore cette forme toute française, qui reparaît également dans une des petites cellules de son lieu préféré, le Carceri ! Que conclure de tous ces faits ? M. Thode n’hésite pas : « François, en même temps qu’il devait à la France son nom et l’un des élémens de sa nature, lui a dû aussi la connaissance d’un type particulier de constructions et la capacité de le