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répugnant de quelques capucins dégénérés, objets de risée légendaire pour les conteurs égrillards et les bourgeois pratiques, qu’ils ont vus traînant leur oisiveté dans les quartiers populaires. Pour eux, les seuls grands hommes d’Assise sont tout au plus Properce, le chantre élégiaque, élégant et précieux, des courtisanes romaines, ou leur contemporain Métastasio, le librettiste sentimental des opéras langoureux. Aucun ne semble se douter qu’au Moyen âge, un autre chantre d’amour, mais d’un amour plus pur et plus profond, d’un brûlant amour pour la nature entière, pour toutes les créatures et pour leur Créateur, avait, sur ce même sol, dans l’enchantement du même ciel, répandu, par ses paroles et ses exemples, un trésor infini de pitié, de tendresse, d’espérances, d’une poésie naïvement humaine, autrement sincère, consolante, salubre et féconde que toutes les virtuosités, égoïstes et stériles, des littératures mondaines et savantes.

Avec quelle désinvolture, notre trop spirituel et sceptique Président de Brosses se déclare-t-il heureux que l’obscurité nocturne l’ait empêché de voir Spoleto « qui n’en vaut pas la peine ! » : Comme il s’empresse d’ajouter : « Près de là est la ville d’Assise, mais je me gardai bien d’y aller, craignant les stigmates comme tous les diables ! » Quelques années plus tard, en 1786, Goethe lui-même, dans son enthousiasme exclusif alors pour l’art antique, ne gravit seul, à pied, la rude montée du Subasio que pour admirer le temple de Minerve « bâti du temps d’Auguste et très bien conservé, » auquel il consacre une belle page. C’est avec horreur, lui aussi, qu’il se détourne des édifices franciscains : « Ce couvent, avec ses tours babyloniennes, ne m’a inspiré que de l’aversion… »

L’honneur d’avoir rappelé l’attention des artistes et des historiens sur la grande basilique, revient, ce semble, à notre compatriote, Seroux d’Agincourt. Ce savant amateur, si perspicace et si modeste, est, on l’oublie trop, le vrai créateur de l’Histoire de l’Art par l’étude analytique et comparative des monumens, à toutes les époques et dans les divers styles, telle que nous la comprenons aujourd’hui. Installé en Italie pour le reste de ses jours, dès 1779, il comprit, l’un des premiers, l’intérêt esthétique de cet édifice. Il en releva les plans et les détails, et crut pouvoir remarquer dès lors que « c’était, en Italie, le plus ancien édifice entièrement gothique où dominait, tout seul, l’arc aigu. » Dans une de ses visites, il y fit même exécuter des calques, d’après