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facile et pleine de sympathies, prête à se passionner à propos de tout et de rien, un vrai cristal à mille facettes réfléchissant dans chacune de ses nuances un tableau différent, avivé et nuancé de tous les feux de l’Iris… « — Ne saute-t-il pas aux yeux que ceci est un portrait de La Fontaine ? Eh bien ! non. C’est celui de Théophile que Gautier a voulu faire et, en somme, il ne s’est pas beaucoup trompé. C’est que Théophile est parfaitement une première épreuve de La Fontaine, et que La Fontaine est un second Théophile, un Théophile aussi riche, aussi multiple, aussi « polyphile, » aussi ouvert à tous les genres de beauté, mais amendé et rectifié par une plus grande sûreté de goût, et je m’étonne que Gautier n’ait pas fait ce rapprochement qui me paraît presque inévitable.

Sainte-Beuve, — mais disons tout d’abord qu’il a toujours « reculé » devant la littérature du temps de Louis XIII et qu’il avoue qu’il n’a jamais pu « s’en inoculer le goût, » — reconnaît que « Théophile avait reçu de la nature un génie prompt, facile et brillant, » mais lui refuse énergiquement le nom de « grand poète, » que lui a libéralement donné Théophile Gautier. Il a raison ; mais je voudrais qu’il eût dit, je serais heureux qu’il eût pensé, que Théophile avait au moins des « parties » de grand poète, comme on disait au XVIIe siècle, et que ces parties se développaient en lui, s’agrandissaient et auraient été singulièrement loin s’il eût vécu aussi longtemps par exemple que La Fontaine. À l’âge où Théophile mourut, qu’est-ce que La Fontaine avait écrit ? Il n’avait rien écrit du tout.


EMILE FAGUET.