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Quant au philosophe matérialiste et épicurien qu’était véritablement Théophile, il s’est exprimé, très nettement dans ses satires et ailleurs. Il envie le sort des animaux qui n’ont point de conscience et par conséquent point de tourmens :


Leur vie est moins sujette aux fâcheux accidens
Qui travaillent la tienne et dehors et dedans.
La bête ne sent point peste, guerre ou famine
Le remords des forfaits en son cœur ne la mine ;
Elle ignore le mal pour n’en avoir la peur,
Ne connaît point l’effroi de l’Achéron trompeur.
Elle a la tête basse et les yeux contre terre…


Remarquez cette contre-partie de la dissertation spiritualiste d’Ovide : Os homini sublime dedit


Elle a la tête basse et les yeux contre terre,
Plus près de son repos et plus loin du tonnerre
L’ombre des trépassés n’aigrit son souvenir ;
On ne voit à sa mort le désespoir venir.
Elle compte sans bruit et loin de toute envie
Le terme dont nature a limité sa vie…


Il est assez intéressant de remarquer que dans Pyrame et Tisbé il avait exprimé cette même jalousie à l’égard des animaux et des personnages de la nature, avec cette circonstance, peut-être aggravante, que c’est Tisbé qui fait cette sorte de profession naturaliste :


Hélas ! ne pourrons-nous jamais dire qu’un mot !
Les oiseaux dans les bois ont toute la journée
A chanter la fureur qu’amour leur a donnée,
Les eaux et les zéphyrs, quand ils se font l’amour,
Leur rire et leurs soupirs font durer nuit et jour…


mais ceci n’était que plainte amoureuse et n’avait pas, je pense, de prétention philosophique.

Enfin c’est comme élégiaque que Théophile se rapproche le plus de nous, de notre goût général, et fait cette fois tout à fait figure de romantique. Il est élégiaque, c’est-à-dire poète amoureux, et il est élégiaque en tant que peintre de la nature. Dans ces deux personnages il est essentiellement personnel, et c’est toujours lui-même, comme un poète de 1830, qu’il met en scène. Je dirais même qu’il est plus personnel comme peintre de la nature que comme amoureux, et qu’il est plus objectif