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tout d’abord qu’une infiltration des maisons de commerce existantes à la périphérie du domaine, suivie à échéance plus ou moins longue, de la création d’établissemens nouveaux. Ce qui est certain, c’est que la liberté d’exploitation aura pour effets lointains la prospérité de la colonie, et pour résultats immédiats le déficit budgétaire.

Les Belges envisagent cette situation sans alarme. Avec des impôts légers, ils équilibrent sans peine un budget métropolitain qui se chiffre, bon an mal an, à trois quarts de milliard. L’usage pris depuis longtemps, de placer leurs larges disponibilités à l’étranger, en Russie, en Egypte, en République Argentine, au Brésil, leur a donné l’habitude de commanditer des pays neufs. Avec leur tempérament d’hommes d’affaires, ils consentiront d’autant plus facilement les subsides que, lents à se prononcer sur la valeur du Congo, ils les auront plus froidement calculés. La masse de l’opinion ne verra là qu’une mise de fonds comme il s’en fait chaque jour dans les usines, les mines et les chantiers d’Anvers et de la Wallonie, et ce trait de caractère national sera un levier sûr aux mains de gouvernans qui ont la vision très nette des devoirs de leur petite et industrieuse nation.


II. — LA SITUATION SOCIALE DES INDIGÈNES

« Un missionnaire un peu naïf avait confié à un sauvage un bœuf et une charrue. Puis il continua son chemin. Quand il revint, il apprit que le sauvage avait fait cuire son bœuf avec le bois de la charrue. »

Cette histoire, contée jadis par Joseph de Maistre, résume parfaitement les dangers d’une civilisation trop rapide. Bien différentes de celles de l’Europe, les relations entre le capital et le travail, sous les tropiques, ne s’y heurtent pas moins à de nombreuses difficultés. Le capital est représenté par l’Européen, fonctionnaire ou colon venu pour remplir une mission déterminée, dans un pays où tout labeur fatigant lui est interdit par le climat ; le travail, ce n’est pas la plèbe de nos pays, robuste et laborieuse, même lorsqu’elle fermente sous de mauvaises passions ; c’est une population indigène indolente par tradition et par goûts, dépourvue de besoins ou n’appréciant que les armes et l’alcool, ignorante des notions élémentaires de